Milan est propriété des Habsbourg, et comme telle, compte tenu de la proximité avec Vienne, participe des mêmes évolutions musicales. Le titre pourrait induire en erreur : certes, Mozart est bien représenté par deux de ses œuvres, dont le célèbre Exsultate jubilate milanais, mais l’essentiel de l’enregistrement est consacré à des compositeurs qu’il a rencontrés et écoutés dans la capitale lombarde. Pour le titre, le nom du Padre Martini, moins accrocheur, aurait été tout aussi justifié, puisque le maître de Bologne, bien que non représenté, influença durablement la formation comme la carrière de chacun des musiciens représentés.
Johann Christian Bach, le dernier des fils de Bach, ouvre et clôt magnifiquement l’enregistrement. Si sa musique instrumentale est maintenant bien connue, souvent illustrée, son œuvre vocale sacrée demeure dans la pénombre, malgré sa richesse singulière (1). C’est le premier mérite de ce disque de nous révéler un Dixit Dominus, dont c’est la première mondiale (2). Le Magnificat final, bien connu, couronne l’entreprise. L’Exsultate jubilate, bien que génial de la part d’un gamin de seize ans, s’inscrit dans la pratique milanaise du temps. Il est ici précédé du plus rare Misericordias Domini, K 222. Giovanni Fiorini et Melchiorre Chiesa font partie de ces petits maîtres qui ont modelé la musique de leur temps, à l’égal de ceux passés à la postérité. Leopold Mozart écrivit au second pour la création de Mitridate par son fils, à Milan. Le motet O sacrum convivium, de Fiorini, confié au chœur a cappella, témoigne de l’influence du Padre Martini par son écriture rigoureuse et exigeante, héritière de la tradition palestrinienne. Celui de Chiesa est de toute autre nature, où l’alto se voit confier deux arias
Dès l’introduction du Dixit Dominus, tonique à souhait, nous présumons un programme réjouissant. Le chœur n’est pas moins énergique, nuancé, toujours clair et intelligible. Le premier air, Tecum principium, serein, confié au ténor, Raffaele Giordani, d’une belle conduite, avec une égalité des registres, s’achève par une splendide cadence. Après un bref chœur, celui d’alto, décidé, nous permet de retrouver Carlo Vistoli, dont on apprécie toujours l’étendue des capacités. La basse ne sera pas en reste, Alessandro Ravasio donne à sa partie toute sa vigueur, avec une agilité remarquable, à De torrente. Enfin, la soprane Robin Johannsen chante un lumineux et confiant Gloria Patri, où elle dialogue avec les flûtes. Evidemment, l’œuvre s’achève par une monumentale fugue sur Amen, animée, claire, empreinte de joie. Cette découverte autoriserait une attribution hâtive à Mozart, tant l’écriture en est magistrale.
De 15 ans postérieur à cette grande œuvre, le Misericordias Domini porte l’empreinte du Padre Martini et surprend par sa maîtrise, qui laisse deviner déjà telle ou telle page de la Messe en ut mineur, écrite sept ans plus tard. L’Exsultate, jubilate figure parmi les œuvres les plus jouées de Mozart. Nul besoin, donc, de présenter cette pièce qui épouse le plan de la sinfonia alors en vogue : deux arias virtuoses articulées autour du récitatif central. Le défi est magistralement relevé par Robin Johannsen qui lui confère de riches couleurs, assorties d’une agilité rare.
Dans O sacrum convivium, de Giovanni Andrea Fioroni, le recueillement préside pour un chœur homophone a cappella, introduit puis doublé par l’orgue, comme c’était la règle. Ainsi que déjà signalé, est représenté ici l’héritage palestrinien, encore vivace, notamment à travers l’enseignement du Padre Martini. Contrastant, le Caelo tonanti de Melchiore Chiesa. L’incipit le laissait augurer, l’orchestre est expressif, tourmenté, avant que Maximiliano Baños, contre-ténor argentin, chante ses deux airs, où tous les affects sont illustrés avec maestria, de véritables arias d’opéra, n’était le texte.
Une brève antienne de chant ambrosien – nous sommes à Milan – introduit le Magnificat de Johann Christian Bach. Etonnamment, l’osmose avec le style opératique, dans lequel il excellera bientôt, apparaît moindre que chez ses confrères, particulièrement Chiesa et Mozart. L’œuvre fait la part belle aux chœurs, au sein desquels interviennent les solistes, en particulier le remarquable sopraniste Federico Fiorio au premier numéro.
A la tête de ses musiciens et chanteurs de la Fondation Ghislieri, Giulio Prandi se montre exemplaire dans ce répertoire, dont il est familier et qu’il illustre avec maestria. L’orchestre d’instruments anciens, aux timbres clairs et colorés, au jeu virtuose et stylé nous vaut un constant plaisir. Les solistes et le chœur se hissent au meilleur niveau, pleinement engagés au service d’œuvres qu’ils défendent de façon exemplaire (3).
Un enregistrement riche en découvertes ou re-découvertes, généreux, servi par de remarquables interprètes.
La brochure, trilingue, avec une pertinente introduction de Raffaele Mellace à la vie musicale milanaise du temps, reproduit les textes chantés assortis de leur traduction dans chacune des langues (anglais, français, italien).
(1) 34 œuvres liturgiques ou sacrées, le plus souvent composées à Milan, figurent à son catalogue, sans compter son oratorio, Gioas, rè di Giuda.
(2) Bien qu’ayant connu depuis quelques décennies une édition moderne.
(3) la notice est particulièrement peu explicite sur les interventions de chacune et chacun des solistes.