Parlerait-on encore de cette Donna del Lago enregistrée à Turin en 1970 si Elena – la « dame du lac » – n’était interprétée par Montserrat Caballe ? A la baguette, Piero Bellugi qui fut pourtant l’élève de Luigi Dallapiccola et de Léonard Bernstein, n’est ni un révolutionnaire, ni un visionnaire. Quelques accélérations suspectes, un « Tanti affetti » notamment pris sur les chapeaux de roue, n’apportent rien au propos. Sa direction a malgré tout le mérite de l’équilibre et celui, encore plus grand, de nous épargner des accents ronflants qui lors de l’entrée de La Donna del lago au répertoire de l’Opéra de Paris en juillet 2010 avaient fait dire à une spectatrice « Je ne savais pas la musique de Rossini si militaire ». L’Orchestre et les chœurs de la RAI parlent ici leur langue maternelle. Cela s’entend aux bois (voluptueuse première clarinette) et aux cuivres qui se coulent sans fracas dans une masse sonore d’une belle consistance. Rien d’inoubliable peut-être mais rien de honteux non plus, au contraire.
Même constat pour le Malcom de Julia Hamari, voix saine et avenante qui baigne ici dans son élément au point d’omettre de faire des vagues. Le chant, à n’offrir rien de saillant, donne souvent l’impression de cocher les cases. Au vu des difficultés qu’amoncelle la partition, cela n’est déjà pas si mal, d’autant qu’une heureuse conjonction des timbres nous vaut un duettino « Vivere io non potrò » au firmament.
En ces temps de crépuscule rossinien (le Festival de Pesaro allait naitre dix ans plus tard), c’est comme toujours du côté des hommes que le ventre est mou. Les ténors surtout qui auraient dû commencer par intervertir leurs rôles. Pietro Bottazzo en Rodrigo n’est pas le baritenore que l’on attend ici. Le chant se voit balayé d’un revers de roulade dès son entrée sur scène par un « Eccomi a voi, miei prodi » qui devrait être plus qu’héroïque : sauvage. Ce chef militaire au petit pied rappelle au mieux Almaviva égaré en terres barbares, au pire Zaza Napoli dans une version lyrique de la scène de la biscotte. Franco Bonisolli apparaît plus opportun même si le métal sombre de la voix n’est pas celui d’Uberto ; le rôle requiert agilité et hauteur plus que puissance. La technique parvient cependant à surmonter les chausse-trappes du premier acte avant de s’empaler sur l’air hérissé de vocalises du deuxième (« Oh fiamma soave »). Pendant ce temps, le Douglas de Paolo Washington attend sagement dans son coin que Samuel Ramey vienne rappeler aux oreilles du monde ce qu’être basse signifie dans ce répertoire.
Reste la prima donna. Montserrat Caballe traverse, somptueuse, une œuvre dont une tradition vocale héritée de l’âge baroque tempère le romantisme. On pourra reprocher à la soprano espagnole comme souvent une certaine indifférence, une tendance à prendre ses aises avec la partition, voire à la travestir pour mieux exposer les splendeurs d’une voix alors à son apogée. Elena, un des rôles les plus placides parmi ceux conçus à l’intention d’Isabella Colbran, s’accommode bien de ces parti-pris. On pourra trouver le chant minaudier (le « Oh mattutini albori », superbe, parait effectivement plus affecté que de raison). Impossible de déprécier en revanche ses mordorures, sa longueur, cette sensation enivrante de souffle infini et de facilité qu’en forme de bouquet final un « Tanti affetti » pourtant rondement mené ne parvient pas à ébranler.