Dans la redécouverte progressive de Zelmira au cours des dernières décennies, il y eut d’abord la production de Beni Montresor à Rome en 1989, puis celle de Yannis Kokkos à Pesaro en 1995 (spectacle vu à l’Opéra de Lyon et au TCE en février 1999) : avec ces décorateurs arbitrairement promus metteurs en scène, l’œuvre de Rossini ne palpitait pas d’une intense vie dramatique, c’est le moins qu’on puisse dire. On espérait donc beaucoup de Giorgio Barberio Corsetti, authentique homme de théâtre, qui monte ce mois-ci Un Chapeau de paille d’Italie à la Comédie Française. En 2007, il avait collaboré avec Pierrick Sorin pour une mémorable Pietra del Paragone, mais plus récemment il a aussi participé à la douteuse Pop’pea du Châtelet. Capable du meilleur et du pire, donc, qu’allait-il faire du dernier opéra napolitain de Rossini ? Hélas, la déception est à la hauteur des espérances : la transposition vers notre époque n’apporte à peu près rien, sinon que les mitraillettes remplacent les glaives, mais chacun reste planté à l’avant-scène, face au public, et les personnages semblent livrés à eux-mêmes au milieu d’un décor où des vestiges de statues (référence subtile à l’antiquité dans laquelle est située le livret) gisent plus ou moins ensevelies dans la terre avant de s’envoler vers les cintres sans raison apparente. On a même droit à l’un des tics de Yannis Kokkos : le grand miroir incliné dans lequel se reflètent les protagonistes et les dessous de la scène, où des cadavres sont traînés à terre ou baignés, toute une équipe de figurants qui crapahutent, vision très esthétisée des horreurs de la guerre. Le comble du ridicule est vite atteint lorsque Zelmira joue avec son père l’image de la « Charité romaine », donnant le sein au vieux Polidoro telle Péro allaitant son père Mycon en prison. Modernité purement cosmétique, donc, puisque les chanteurs gardent leur gestuelle convenue, mains sur le cœur ou bras en croix, agitant la tête sur chaque vocalise.
Fort heureusement, la distribution réunit ce qu’il y a de mieux en matière de chant rossinien. Juan Diego Flórez en Ilo remporte un triomphe mérité, et il est sans doute en grande partie la raison d’être de ce DVD. La voix est incontestablement à son zénith, les suraigus sont toujours stupéfiants, mais ce n’est pas encore cette fois qu’on lui apprendra à renoncer à ses gestes stéréotypés d’un autre âge. Après le contraltino, le baritenore : Gregory Kunde apporte à Flórez un parfait contrepoint, avec un timbre entièrement différent, sombre et dense (ah, ces soudaines plongées dans le grave !), et avec un tout autre métier sur le plan théâtral, sans quoi le traître Antenore se réduirait à un méchant de mélodrame. On n’attendait pas forcément Kate Aldrich chez Rossini : succédant à Cecilia Gasdia et à Mariella Devia, elle propose bien entendu une tout autre image de Zelmira, peut-être plus conforme à l’idée qu’on peut se faire du timbre de la Colbran : voix chaude, agilité dans les vocalises et aisance dans le grave. Habituée aux rôles rossiniens, Marianna Pizzolato est la grande bénéficiaire des remaniements opéras par le compositeur qui, pour une reprise à Vienne, ajouta notamment une grande scène pour Emma. Le par ailleurs très estimable baryton Alex Esposito s’invente des graves pour l’occasion et, en roi blafard, compose un personnage digne de Nosferatu ; Mirco Palazzi est, lui, une vraie basse, et l’on apprécie, malgré leur brièveté, ses intervention dans le rôle du perfide Leucippo. Dirigée avec une conviction incisive par Roberto Abbado, la musique de Rossini atteint dans cet opéra de tels sommets qu’on tolère mieux une mise en scène aussi creuse, mais à n’en point douter, Giorgio Barberio Corsetti peut mieux faire.