Où applaudir aujourd’hui Le Siège de Corinthe si ce n’est dans l’une des deux Mecque rossinienne : Pesaro ou Bad Wildbad ? Créé avec succès à Paris le 9 octobre 1826, le premier opéra français de Rossini fut rapidement converti en L’Assedio di Corinto et, sous ce titre, fit le tour du monde avant de sombrer dans l’oubli à la fin du XIXe siècle. Depuis, quelques reprises sporadiques, plus ou moins conformes à l’original, n’ont pas réussi à imposer l’œuvre au répertoire, en français comme en italien. Le livret co-signé par Luigi Balocchi et Alexandre Soumet, auteur de Norma ou l’Infanticide, tragédie qui inspira à Bellini son chef d’œuvre, narre la prise de Corinthe par Mehmet II al Fatih en 1458, mettant dans la balance amour et patrie selon une équation chère aux opéras de l’époque. Ce sujet trouvait à l’époque un écho contemporain dans le siège de Missolonghi par les Turcs en 1826. La partition reprend l’essentiel de Maometto II, représenté pour la première fois à Naples six ans auparavant.
C’est de Bad Wildbald que nous vient donc cet enregistrement établi à partir des représentations des 18, 20 et 23 juillet 2010 dont notre confrère Maurice Salles a rendu compte ici-même. Ce festival ambitionne depuis 1989 de rivaliser avec son aîné italien sous prétexte que Rossini, en 1856, y fit une cure de plusieurs semaines. Ces dernières années, quelques coups d’éclat, relayés au disque par la firme Naxos, lui ont permis d’asseoir une réputation naissante. L’édition 2008 confirmait avec Otello le talent naissant de Michael Spyres, déjà applaudi deux ans auparavant au même endroit dans le rôle d’Alberto de La Gazzetta, également enregistré et diffusé en CD par Naxos. Depuis, le jeune ténor a fait parler de lui à diverses occasions. A Paris notamment, on se souvient de La Muette de Portici à l’Opéra-Comique où, en Masaniello, il endossait sans démériter une partition taillée aux dimensions légendaires d’Adolphe Nourrit. Dans ce Siège de Corinthe, Michael Spyres se confronte de nouveau à la vocalité de l’illustre ténor en interprétant Néoclès, rôle périlleux à l’intention duquel Rossini ajouta un air nouveau au 3e acte : « Grand Dieu, faut-il qu’un peuple… ». Et l’on retrouve avec bonheur l’impression d’urgence qui se dégage de ce chant percutant à l’ambitus large. Baryton devenu ténor par la grâce d’une technique accomplie, Michael Spyres a le grave impérieux quand l’aigu n’est pas toujours aussi assuré, même s’il atteint ici par deux fois le contre-ré. La reprise est ornée avec le panache qui convient au style et à la situation. Le texte reste intelligible bien qu’entaché d’un léger accent. La ligne peut sembler parfois vaciller sous l’excès de tension à laquelle elle est soumise mais la vaillance finit par triompher. Face à nous se dresse déjà Arnold de Guillaume Tell, autre rôle intrépide écrit pour Adolphe Nourrit, que Michael Spyres interprètera dans quelques semaines, à Bad Wildbad justement. Auparavant, la prière avec chœur a fait valoir la noblesse du phrasé, essentielle dans ce répertoire, et le sentiment que sait aussi exprimer le ténor lorsqu’il baisse la garde.
Les autres protagonistes n’appellent pas tant de commentaires, non qu’ils disconviennent mais parce qu’ils ont moins à offrir. Lorenzo Regazzo, sur scène, devait camper un Mahomet II, « vainqueur généreux ». Au disque, le chant n’a pas autant d’impact. La longueur et la souplesse restent d’indéniables atouts. Majella Cullagh pâtit d’une voix au timbre ingrat et d’un chant aux aigus courts qui échouent à restituer la beauté tragique de Pamyre. En Cléomène, l’autre ténor de l’histoire, Marc Sala peine à exister. Heureusement, les chœurs mis à l’honneur dans un ouvrage qui, deux ans avant La Muette de Portici, propose une esquisse du grand opéra à la française, sont exemplaires. La direction de Jean-Luc Tingaud, sans transcender la partition, lui insuffle l’élan dramatique nécessaire, faisant de cette version, dans un paysage discographique désolé, la référence actuelle.
Sur Qobuz :
Le Siège de Corinthe (Intégrale) | Gioachino Rossini par Majella Cullagh