A peine le nouveau Messie dirigé par Emmanuelle Haïm sort-il que Nathalie Stutzman, qui l’a souvent chanté, annonce qu’elle l’enregistre à son tour. Haendel révisa en permanence la partition originale pour convenir aux conditions de chaque nouvelle exécution. Ainsi, les interprètes ont-il un choix très large d’effectifs choraux et instrumentaux, de l’humilité relative de la création aux fastes de Covent Garden, ou encore à l’orchestration de Mozart. Choix aussi de certains airs spécifiques à telle ou telle version, ainsi le « Thou art gone up on high » pour alto, soprano ou basse, en fonction des interprètes et de la conception générale qui préside à l’exécution. L’enregistrement d’aujourd’hui reprend pratiquement les effectifs de la création avec vingt choristes et un orchestre équilibré.
Ouvrage choral d’inspiration sacrée par excellence, le chœur y joue le premier rôle. David Bates réalise la prouesse de faire passer le Chœur du Concert d’Astrée pour un remarquable chœur anglais d’origine. Si certaines pages sont simplement propres («Goodwill, du Glory to God» ; «He trusted in God», d’où la moquerie est absente), on retiendra des moments de pure beauté « Let us break their bonds »*, « Since by man came death », poignant dans son dépouillement et ses contrastes. L’Alleluia est lumineux, flamboyant, contrasté à souhait et sa fugue monumentale est conduite de façon exemplaire, vivante, avec des unissons parfaits. L’Amen final resplendit, grandiose fugue dont la polyphonie est artistiquement tissée, toujours fluide et lisible.
Bien que le chant des solistes porte la marque de la vocalité italienne, l’exhibition vocale est soigneusement mesurée. C’est la fine fleur du chant haendelien que l’on retrouve. Ainsi Lucy Crowe et Christopher Purves chanteront-ils Saul à Glyndebourne l’été prochain. Notre soprano, au chant très pur, à la technique infaillible, vit son texte avec une conviction rare. Tim Mead, timbre rond et émission sans vibrato, représente le parfait contreténor anglais, un modèle de style. On se souvient de son Ottone de l’Incoronazione di Poppea. L’attente tour à tour sereine et angoissée de « But who may abide » est rendue avec justesse. La conclusion de la première partie, description de la flagellation et des souffrances du Christ « He was despised » est profondément émouvante, bien que dépourvue de pathos. Andrew Staples stupéfiant d’aisance dans tous les registres, ouvre le festival avec « Ev’ry valley » et excelle quel que soit le climat de l’air ou de l’arioso. Christopher Purves, s’il n’a pas toujours les extraordinaires moyens physiques de ses débuts, supplée leur relative érosion par un sens musical et dramatique plus sûr que jamais : la maturité épanouie. En témoignent « the people that walked in darkness », sombre, obstiné, tortueux, l’air de rage « Why do the nations », et le triomphal « The trumpet shall sound », d’une joie pleine et communicative.
L’ orchestre, virtuose et homogène, sonne, respire, avec un continuo et des basses splendides Si l’ouverture aurait pu gagner en majesté, la pastorale berceuse («Pifa») justement célèbre, nous charme.
La force, la grandeur, le ton juste, l’émotion sans jamais la moindre sensiblerie ni grandiloquence, un élan que la direction impose, mélange de souplesse féline et d’énergie autoritaire, rarement Emmanuelle Haïm aura atteint une telle maîtrise. De quoi satisfaire chacun, passionné de baroque comme amateur éclairé. Une version exemplaire qui se hisse au niveau des plus belles réalisations de ce chef-d’œuvre. Et pourquoi pas écouter ce Messie pour Noël ?
* plagié par Mozart, qui venait d’achever la réorchestration du Messie, dans le «Kyrie» du Requiem.
____