Dans le cadre de son indispensable travail sur la mélodie française, il était inévitable que le label Timpani finisse par arriver à Charles Koechlin, dont la musique de chambre avait déjà bénéficié d’un enregistrement paru en 2012. Parmi la centaine de mélodies laissées par ce compositeur inclassable, c’est dans les œuvres de jeunesse que Timpani a puisé, entre l’Opus 4, de 1894-95, et l’Opus 17, de 1895-1900. Cette première décennie créatrice montre Koechlin s’affranchissant peu à peu de l’influence de ses maîtres Massenet et Fauré, avec notamment l’éclosion d’une voix personnelle dans l’impressionnante mélodie « La Guerre », dédiée au père de Manon, qui y entendait « des invasions de tempêtes apocalyptiques absolument extraordinaires ». Les poètes parnassiens étaient alors les principales sources d’inspiration du jeune polytechnicien, en particulier Théodore de Banville, maître du rondel, ce poème de treize vers dont le dernier répète le premier, et Leconte de Lisle, avec un « Colibri » fameusement mis en musique par Chausson.
Outre la hardiesse de leurs harmonies « wagnériennes », parfois, l’une des originalités de ces mélodies est, pour plusieurs d’entre elles, de faire appel à un chœur en plus de la voix soliste (page ambitieuse, « Les Clairs de lune » est même écrite pour deux solistes et chœur). Chœur de voix féminines exclusivement, d’où la présence sur ce disque de l’ensemble Calliope – Régine Théodoresco, Voix de femmes, avec ses douze chanteuses dont on remarque aussi les belles qualités dans trois pièces pour chœur seul. Au piano, on retrouve le brillant Nicolas Jouve, tout récemment partenaire d’Amel Brahim-Djelloul pour le très beau disque Populaires. Koechlin ne ménage pas le pianiste dans ses mélodies, et l’on savoure tout le raffinement de ses accompagnements.
Entendue à Lyon en Mère Marie de l’Incarnation et à Nancy dans Barbe-Bleue d’Offenbach, la mezzo Anaïk Morel a pour elle un timbre d’une belle densité, mais à cette voix toujours très couverte on souhaiterait parfois plus de hardiesse, qui lui permettrait de varier davantage les couleurs : dans « Le Jour », elle s’autorise à sortir de sa réserve, et c’est une très bonne chose. Encore auréolé de son récent succès en Tamino à l’Opéra de Paris et dans Ciboulette à l’Opéra-Comique, Julien Behr confirme sa position parmi les ténors français avec lesquels il faut désormais compter, avec un chant capable de vaillance (« La Guerre »), mais dont on goûte surtout la douceur dans « Menuet » ou « Si tu le veux ». Son prochain Mercure dans Platée à Garnier permettra de l’entendre dans ce répertoire français qu’en mozartien consommé, il n’a pas si souvent l’occasion de défendre.