Ce nouveau DVD capté voici un an à Munich vient enrichir une vidéographie plutôt mince de Mefistofele. En effet seules trois versions de cette œuvre sont actuellement disponibles sur le marché, l’une, enregistrée à Palerme en 2008 dans une mise en scène kitch de Giancarlo del Monaco, vaut surtout pour le Mefistofele de Ferruccio Furlanetto. Les deux autres viennent de San Francisco où elles ont été filmées à près de vingt-cinq ans d’intervalle dans la même production luxuriante et colorée signée Robert Carsen. Celle de 1989 tient le haut du pavé grâce à l’exceptionnelle incarnation du rôle-titre par Samuel Ramey au sein d’une distribution homogène. La seconde qui réunissait en 2013 Ildar Abdrazakov et Ramon Vargas, est handicapée par une Marguerite criarde et une direction d’orchestre sans grand relief.
A Munich Roland Schwab transpose l’ouvrage à notre époque. Le prologue ne se situe pas dans le ciel mais à l’intérieur d’une gigantesque structure métallique qui figure un tunnel obscur dont le sol est jonché d’objets hétéroclites, fauteuils délabrés, instruments de musique saccagés, amas de pierres avec au premier plan un gramophone sur lequel Mefistofele vient déposer un vieux vinyle avant que ne résonnent, en même temps qu’un bruitage de disque rayé, les premières mesures du prologue, procédé déjà utilisé par Moshe Leiser et Patrice Caurier dans l’Otello de Rossini que l’on a pu voir la saison dernière au Théâtre des Champs-Élysées. Une enseigne avec, en lettres lumineuses, le mot « open » suggère qu’il s’agit d’un local ouvert à tout vent, squatté par des marginaux apparemment soumis au démon. Celui-ci, en costume et lunettes noires, a l’apparence d’un chef mafieux. Affalé dans un fauteuil, il se délecte de la vision sur un grand écran d’un avion survolant Manhattan. Le premier acte nous transporte au cœur d’une Oktoberfest à Munich. Au premier plan, les choristes vêtus de costumes bavarois s’enivrent à la bière tandis qu’apparaît au fond de la scène un carrousel lumineux qui tournoie. A la fin de l’acte, Mefistofele enlève Faust sur une Harley-Davidson. A l’acte suivant, le sol verdâtre évoque une pelouse, Faust, vêtu d’un costume gris et Marguerite d’une robe du soir rose pâle, sont attablés, une coupe de champagne à la main, et trinquent tandis que Mefistofele lutine sur sa moto une Marta vêtue d’une minirobe en cuir noir, un fouet à la main. La nuit de Sabbat du trois est une immense bacchanale au cours de laquelle Faust viole Marguerite. La prison où celle-ci est ensuite enfermée est délimitée par un ruban de signalisation, au sol un amoncellement de fleurs figure la tombe de son enfant. Point de fleuve ni de temple grec à l’acte quatre qui se situe dans un établissement de soins. Elena et Pantalis sont des infirmières chargées de s’occuper de Faust et des autres patients qui, le regard absent, se déplacent comme des zombies. Asile psychiatrique ou maison de retraite ? Dans cette vision d’une noirceur extrême où l’enfer est sur terre, Faust ne parvient à y échapper que dans la folie ou l’amnésie.
La distribution est d’une grande homogénéité jusque dans les petits rôles judicieusement distribués, en particulier la Marta sensuelle et ambiguë de Heike Grötzinger et le Wagner bien chantant d’Andrea Borghini. Contrairement au vœu du compositeur, Elena et Margherita sont distribuées à des cantatrices différentes. Karine Babajanyan possède des moyens solides et un aigu insolent dont bénéficie son air « notte cupa » au cours duquel elle décrit avec une grande intensité dramatique la chute de Troie. Dans les duos avec Pantalis, sa voix claire contraste avec le timbre cuivré de Rachael Wilson. Dotée d’une indéniable présence scénique, Kristine Opolais campe une Margherita hallucinée qui impressionne de bout en bout, son interprétation bouleversante de « L’altra notte in fondo al mare » ferait presque oublier quelques notes aiguës un rien stridentes. René Pape possède les moyens qu’exige le rôle-titre avec un timbre égal sur toute la tessiture et un grave sonore. Son Mefistofele cynique et manipulateur séduit autant qu’il inquiète. Avec Joseph Calleja, nous tenons sans conteste, le meilleur Faust de toute la vidéographie, son timbre chaud et lumineux, la facilité avec laquelle il émet ses aigus, l’élégance de sa ligne de chant, la délicatesse de ses demi-teintes lui ont valu au rideau final un triomphe largement mérité. Qu’attend donc l’Opéra de Paris pour engager un ténor d’une telle qualité ?
Omer Meir Wellber dirige avec énergie et un sens aigu du théâtre cette partition monumentale dont il se plait à souligner les contrastes. A moins d’être hermétique au parti pris radical de Roland Schwab, voilà une version qui constitue une alternative sérieuse à celle de Robert Carsen avec Samuel Ramey.