Il est trop beau, Ildebrando ! Le poil sombre, l’œil qui frise et, sur la jaquette de ce disque, une dégaine d’on ne sait trop quoi – enfin, censément fashionable. Du haut de ses quarante-deux ans, le baryton-basse est à la tête d’une imposante discographie. Cela est bel et bon, car son timbre égale en sex appeal sa prestance : une voix charnue, aux graves admirablement assis, aux aigus triomphants, jamais prise en défaut de pâte, de densité, de grain.
Dans Mozart, D’Arcangelo est légitime au possible, depuis le temps qu’il balade sur les plus grandes scènes du monde ses Leporello, Figaro, Don Giovanni et Guglielmo – il excelle dans les barytons de la trilogie dapontienne. Aussi ne chante-t-il ici qu’en italien, avec le rien de slancio rocailleux qui fait le vrai chic transalpin. S’y ajoutent les principales mélodies pour basse et orchestre, dont on sait qu’elles ne sont pas du meilleur Mozart, mais qui charment.
D’où vient alors que nous ne sommes pas conquis ? L’orchestre du Regio rutile sous la baguette de Noseda, disciple italien de Gergiev dont il a hérité l’énergie un rien foutraque. Cela brille, cela bondit, cela bouillonne. Bravo.
Mais voilà : on s’ennuie. D’Arcangelo nous déverse dans les oreilles des litres de testostérone : un peu c’est charmant, beaucoup c’est impressionnant, mais trop c’est trop, et ça lasse. Pas un accent ici qui ne soit à pleine voix, jamais une demi-teinte, jamais un timbre irisé, effacé, jamais une subtilité dans l’émission. C’est franc, c’est droit, c’est puissant comme un braquemart surentraîné, mais c’est dépourvu de toute nuance. On ne reconnaît plus aucun sentiment : la détresse de « Mentre ti lascio » ressemble à la rage de « Donne mie », elle-même identique à l’ironie légère de « Rivolgete a lui lo sguardo ». La sérénade de Don Juan est vociférée à réveiller tout le quartier ; dépourvu de toute malice, le « Non più andrai » fait carrément peur, et le « Aprite un po’ » ne respire guère qu’un étouffant sérieux de macho furax.
Comment aucun directeur artistique n’a-t-il pu suggérer à D’Arcangelo de renoncer à cette émission toujours à plein régime, exposant sans relâche sa virilité musculeuse, oubliant les personnages, les situations, les caractères, faisant le choix d’une approche générique et sommaire ? Comment personne enfin n’a-t-il songé à lui conseiller d’offrir mieux qu’un numéro de matamore priapique – par exemple un récital Mozart ?
Sylvain Fort