L’avantage d’une compilation, c’est qu’elle ne coûte à peu près rien à ceux qui les mettent en vente, et qu’elle ne coûte pas trop cher à ceux qui les achètent. A condition de ne posséder aucune intégrale d’opéra de Massenet, le coffret commercialisé par Erato n’est pas dépourvu d’attraits, même s’il n’égale pas le coffret de 23 disques réalisé par Decca en 2012, où l’on trouvait notamment Le Roi de Lahore, Esclarmonde et Thérèse en plus des inévitables Manon et Werther. En 16 CD, Erato présente un peu moins de raretés, mais l’offre est alléchante, qui propose sept titres représentatifs de la carrière du compositeur, de ses débuts jusqu’à sa mort, ou presque, de 1881 pour Hérodiade à 1910 pour Don Quichotte. Après, reste à voir si l’objet tient toutes ses promesses.
Ce que ce coffret reflète avant tout, c’est l’inéluctable internationalisation du disque, à une époque où il était apparemment devenu impensable d’enregistrer un opéra français avec des chanteurs francophones. Des Français, il n’y en a pas beaucoup ici, et il y en a qu’on aurait peut-être préféré ne pas entendre. Ainsi, pourquoi être allé chercher Henry Legay pour interpréter Des Grieux ? Pourquoi Nadine Denize pour chanter Hérodiade ? Pour un Nicolaï Gedda qui se montre admirable en Werther ou en Nicias, pour un Sherrill Milnes à la diction très correcte, il faut aussi subir quelques accents très exotiques, avec le Palémon visqueux de Richard van Allan, par exemple. Mais reconnaissons que, dans l’ensemble, la qualité d’articulation est plutôt très bonne, avec le français toujours étonnamment pur de Cheryl Studer. Et puis, soyons juste, il y a dans ce coffret deux titres entièrement confiés à des francophones : dans Le Jongleur de Notre-Dame où l’on entend enfin celui qui aurait pu et dû être le héros de bien des intégrales : Alain Vanzo, qui fut sur les scènes un superbe Des Grieux et un somptueux Werther, mais auxquels les studios ne firent jamais appel dans Massenet, sauf pour ce rôle du Jongleur qui ne correspondait peut-être pas parfaitement à sa nature. Et l’on a déjà dit tout le bien qu’il fallait penser de la Sapho gravée en 1976-77 par une stupéfiante Renée Doria, et l’on aimerait que tous les artistes aient conservé la même vaillance à 60 ans. Pour Beverly Sills, l’enregistrement de Thaïs, en 1976, arrive un peu tard : comme l’écrivait Sylvain Fort dans son hommage nécrologique, « la voix de Sills commence à décliner dès le milieu des années 70 […] l’instrument se dérobe ».
Curieusement, Victoria de Los Angeles a été choisie pour deux intégrales majeures où sa présene étonne un peu. Malgré tout le bien que l’on pense de la soprano espagnole, était-elle la candidate idéale pour Charlotte, rôle de mezzo même si la créatrice viennoise, Marie Renard, avait un répertoire incluant aussi de vrais rôles de soprano (mais Marie Delna, la première Charlotte française, était carrément contralto). Et en Manon, où elle est plus à sa place, il lui manque l’aisance dans l’extrême aigu qui lui aurait permis de respecter tout à fait la partition dans « Profitons bien de la jeunesse ». Dans le même ordre d’idée, José van Dam n’est pas exactement la basse exigée par Don Quichotte, et son timbre ne se différencie pas assez nettement de celui d’Alain Fondary en Sancho.
Côté chefs, Georges Prêtre apporte à Werther toute la passion souhaitable, mais la direction de Michel Plasson n’est pas la plus enflammée qui soit. Lorin Maazel assume de manière enthousiasmante la dose de clinquant inévitable dans Thaïs (où il interprète aussi le solo de violon de la « Méditation »), mais Pierre Monteux n’arrache pas toujours Manon à une certaine routine.
Donc il y a là du bon et du moins bon, mais s’il existait une intégrale parfaite de Manon et de Werther, ça se saurait…