Quand surgit une nouvelle version – de studio – d’un opéra du répertoire, on se dit que :
1. l’éditeur est courageux
2. qu’elle peut enrichir la discographie de l’œuvre.
Le problème, s’agissant de Madame Butterfly , c’est que l’ouvrage a été particulièrement bien servi au disque : deux fois Karajan avec Callas et Freni, Pappano avec Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann, mais aussi Barbirolli (Scotto), Serafin (Tebaldi), Santini (Los Angeles)… et quelques ténors de premier plan.
A priori la nouvelle venue ne présente pas un casting qui soit de nature à bouleverser la discographie. Mais l’écoute peut réserver des surprises…
Un opéra de chef ?
Kasper van Kooten signe – en anglais seulement – l’excellent texte d’introduction de ce nouvel enregistrement d’un opéra qu’il décrit comme « le plus cohérent et le plus symphonique de Puccini ».
Est-ce à dire que Butterfly est d’abord un opéra de chef ? A l’évidence l’orchestre de Puccini exige de grands maîtres de l’orchestre autant que de la scène. Au même titre que les rôles principaux, le chef signe une version.
A commencer par l’ébouriffante introduction orchestrale. Cette nouvelle version, de ce point de vue, commence plutôt mal. Une direction poussive, un orchestre – celui de la fondation Gulbenkian de Lisbonne – à la peine, et une prise de son de boîte à chaussure tellement détaillée qu’elle ne flatte guère l’orchestre portugais et ses cordes rèches.
Le label Pentatone avait déjà confié un Puccini, nettement moins exposé, La fille du Far West, au chef américain Lawrence Foster, 81 ans, qui après une longue carrière symphonique qui n’a pas marqué les mémoires, a dirigé plusieurs productions lyriques ces dernières années.
Une Butterfly en demi-teinte
L’attrait principal de cette version est la soprano américaine Melody Moore, qui se révèle une voix idéale pour Puccini et une interprète qui habite toutes les facettes du rôle de Cio-Cio-San. Bien que la voix soit trop mature pour vraiment suggérer une adolescente dans le premier acte, elle est à son meilleur dans l’acte 2 où le désespoir et l’espoir se mêlent si cruellement, même si elle semble demeurer toujours en deça des grands climax : son « Un bel dì » reste un peu terre-à-terre alors que sa scène de suicide n’est pas aussi bouleversante qu’elle devrait l’être.
Cette sorte de relative neutralité tient à la direction prudente, trop prudente, de Lawrence Foster, qui soutient les chanteurs en se refusant à attiser le drame ou en épouser les ressorts émotionnels : le duo de l’acte 1 manque de flux et de reflux et, finalement, de passion. La prise de son propre et clinique, avec les voix placées trop en avant, ne contribue pas non plus à la nécessaire fusion voix/orchestre.
Pinkerton etc.
Le Pinkerton de Stefano Secco est solide et fiable mais c’est une voix plutôt sèche, sans mauvais jeu de mots, qui souffre de l’inévitable comparaison avec ses illustres prédécesseurs au disque (Pavarotti, Björling, Kaufmann…). Lester Lynch est un Sharpless gentil mais cotonneux, Elisabeth Kulman est une Suzuki idéale, dévouée et émouvante. Le reste du casting est tout à fait honorable.
Cette nouvelle version n’est donc pas près de détrôner les piliers de la discographie de Madame Butterfly, en tout premier lieu pour nous Karajan, les somptuosités du philharmonique de Vienne, et son duo de stars Freni et Pavarotti (Decca), et juste après Pappano, Gheorghiu et Kaufmann et la chaleur des musiciens romains de l’Accademia Santa Cecilia (Warner)