S’il fallait parier sur une des voies que peut emprunter l’opéra pour se renouveler, on serait tenté de miser sur la musique de Salvatore Sciarrino. Voilà un compositeur qui a su façonner sa propre écriture vocale, qui ne doit pas grand-chose aux œuvres du passé. Dans cette manière d’associer chant et chuchotement, le texte n’est pas toujours totalement compréhensible, mais on est loin de la dislocation systématique pratiquée par certains, et Sciarrino ne réserve pas le même traitement à tous les types de parole, certains propos étant beaucoup plus immédiatement intelligibles ; il opte parfois pour une forme de déclamation assez envoûtante, en partie fondée sur la répétition, l’orchestre émettant en contrepoint des sonorités mystérieuses, émises par des instruments habituels, mais employés de manière moins conventionnelle. Par ailleurs, le compositeur est joueur, et cite carrément l’entrée du commandeur dans Don Giovanni lorsque surgit le spectre de Banquo, et des réminiscences verdiennes se mêlent aussi à cette même scène.
Nous avions déjà dit tout le bien que nous pensions de Luci mie traditrici (1998) à l’occasion de la parution de cette œuvre en DVD. Le Macbeth de 2002 appelle les mêmes louanges, et même si l’on aimerait aussi pouvoir disposer d’une captation du spectacle réglé à Schwetzingen par Achim Freyer pour la création mondiale en 2002, ou de la mise en scène de Jürgen Flimm à Berlin en juin dernier, il est précieux de pouvoir se familiariser avec cette musique par le biais du disque. Le livret ne propose que le texte italien, sans traduction, et encore : il est dommage que ne soient pas reproduites les didascalies très développées, qui ajoutent à un texte assez elliptique – la pièce de Shakespeare est on ne peut plus condensée – des images très fortes, explicitement prévues par le compositeur (le jeu des masques, l’enchevêtrement des corps morts ou vivants), et situent l’action dans une atmosphère d’allégorie baroque ou dans un univers digne des films de Peter Greenaway.
La mezzo polonaise Anna Radziejewska, vue récemment en Beppe dans L’Amico Fritz de Mascagni à Strasbourg, plie ici sa voix à un style bien moins traditionnel. Elle a d’autant plus de mérite qu’elle est la seule à ne pas avoir fait partie de la distribution de la création, où le rôle de Lady Macbeth était tenu par Annette Stricker. Autour d’elle, donc, ne se trouvent que des chanteurs déjà présents en 2002 à Schwetzingen. Otto Katzameier se prête avec brio à toutes les exigences de la partition, qui l’oblige à prendre en voix de fausset un certain nombre d’aigus inaccessibles à un baryton. Elle aussi contrainte à toutes sortes d’acrobaties vocales, la mezzo Sonia Turchetta en vient parfois à sonner comme un contre-ténor. Mais tous les artistes réunis ici ont leur part dans la réussite de l’ensemble, guidés à travers ce dédale par la baguette experte du chef américain Evan Christ. On attend désormais avec impatience les représentations du Lohengrin de Sciarrino qu’accueillera en mai le Théâtre de l’Athénée.