La diva américaine – Renée Fleming – vous accueille tout sourire sur la pochette, ultra glamour dans sa somptueuse robe rubis… Pas très « Verismo » tout ça ! Le programme semble également ratisser un peu large. Puccini se situe-t-il vraiment dans la vague vériste ? Le Vérisme est un courant italien qui s’attache à représenter la réalité triviale des couches sociales défavorisées ; Liu ou Suor Angelica, pour ne citer qu’elles, semblent s’éloigner sensiblement de ce dogme… Mais qu’importe, les airs regroupés ici, composés au tournant du siècle, ont au moins en commun leur relative contemporanéité (Lodoletta, La Rondine, 1917, Suor Angelica, 1918 et surtout Turandot, 1926, étant un peu plus tardifs).
Si la sélection apparaît de prime abord pour partie rebattue – probablement dans le but d’attirer le grand public, plus familier d’une énième Mimi puccinienne que de sa consœur de chez Leoncavallo – à y regarder de plus près, elle s’avère plutôt intelligemment composée. On nous propose un Puccini « inédit » (« Sola, perduta, abbandonata! » de Manon Lescaut selon la partition originale manuscrite), La Wally de Catalani, mais on nous épargne le « Ebben? Ne andrò lontana » au profit du moins connu « Ne mai dunque avro pace ? », mais aussi des Giordano, des Cilea peu enregistrés (Siberia et Gloria). Plus intéressant encore, la diva semble avoir reçu carte blanche de la part de DECCA, lui permettant d’enregistrer des scènes entières, et non pas seulement des airs, avec des partenaires de qualité, voire de luxe, tel Jonas Kaufmann dans le quatuor de La Rondine.
Dès les premières notes, on est subjugué par la phonogénie de la voix… Quelle plénitude, quel moelleux, quelle chatoyance de timbre ! A ce stade de la déjà-longue carrière de la soprano, le chant semble intact, sans dureté aucune, d’une belle homogénéité jusque dans les aigus charnus et lumineux (1). Les notes semblent couler naturellement de ces partitions dont la virtuosité n’est pas l’essentiel. On est loin des sonorités parfois acidulées ou métalliques de certaines grandes prêtresses véristes. La diva américaine prend d’ailleurs soin de se placer sous la protection des mânes de ses illustres aînées, Magda Olivero, Maria Callas ou encore Renata Scotto (2). Belles marraines en vérité ! Mais la confrontation avec ces références peut s’avérer redoutable. L’écoute d’une Renata Scotto ou d’une Magda Olivero (dans les airs d’Iris ou de Lodoletta par exemple) accuse un certain déficit d’expressivité chez la belle Renée. On sent que la diva a travaillé assidûment pour préparer cet album, mais les élans manquent un peu d’abandon. Ces héroïnes demandent l’approfondissement et le naturel qui ne peuvent résulter que d’une fréquentation renouvelée du genre (3). Il faut dire à sa décharge qu’elle n’est pas toujours aidée par Marco Armiliato, à la tête d’un orchestre Symphonique de Milan Giuseppe Verdi opulent, en proie à quelques alanguissements intempestifs. On notera bien quelques maniérismes, quelques soupirs, quelques graves généreusement appuyés – moins gênants ici que dans le répertoire bel cantiste – mais en contrepartie, des détails accrochent l’oreille, ici une superbe mezza voce, là un aigu tenu magnifiquement sur le souffle (l’air de Suor Angelica). La Mimi et la Liu de Puccini font entendre du beau son, mais on cherchera en vain la fragilité de ces personnages. Les airs joyeux et valseurs de la Mimi et de Musetta extraits de La Bohème de Leoncavallo sont plus convaincants : la dame sait sourire, et la légèreté et l’artifice ont ici toute leur place ! Les plus belles réussites du disque seront cependant à rechercher du côté de Cilea et Giordano, ou encore de la charmante scène de Zazà, qui la fait dialoguer avec une jeune fille ; la ligne se fait alors plus lyrique et l’on sent la chanteuse s’épanouir : elle peut enfin s’épancher librement, déployer toute la séduction de sa voix.
Un album au final luxueux… voluptueux… mais qui manque un peu de relief ! On ne saura pourtant qu’adhérer au but avoué de cet enregistrement : œuvrer à la renaissance du répertoire vériste, trop souvent dénigré.
Antoine Brunetto
(1) On notera simplement l’élargissement peu naturel du bas medium qui tend à déformer la prononciation.
(2) Elle raconte dans la notice accompagnant le CD qu’elle a bénéficié d’une leçon impromptue de la part de la Magda Olivero.
(3) Sauf erreur de notre part, la chanteuse n’a abordé que la seule Bohème de Puccini sur scène…