Le présent ouvrage, publié dans l’excellente collection Perpetuum Mobile dirigée par Malou Haine, constitue les actes des deux premiers colloques présentés à l’Opéra Comique, « L’invention de l’opéra français », et « La naissance de l’opéra comique », dont on cherchera vainement les dates (« saison 2007-2008 »). Les premières approches de l’ouvrage s’accompagnent de prime abord de plusieurs déceptions.
Première déception : la préface de Jérôme Deschamps, institutionnelle, sérieuse et compassée, donc globalement inintéressante, alors que l’on s’attendait à quelque chose de plus construit et de plus drôle, et dont je me refuse de croire qu’il en soit l’auteur. Il s’honore notamment d’organiser en marge de sa programmation des expositions et colloques : je serais curieux de connaître le nombre de lecteurs qui ont eu connaissance du présent colloque ; pour moi, abonné à l’Opéra-Comique et particulièrement intéressé au sujet, il est passé totalement inaperçu.
Deuxième déception : une fâcheuse erreur de fabrication. Vieille habitude universitaire de membre de jury de soutenance de thèse, je commence toujours la lecture d’un ouvrage de ce type par les index, ce qui permet de voir rapidement l’étendue des sujets couverts et les manques éventuels, et constitue également une source inépuisable de découvertes. Ma découverte la plus immédiate a été ici un décalage de 6 pages dans la pagination de l’ouvrage : la page 1 se trouve en fait à la place de la page 7, et donc l’index est à corriger à moins 6, ce qui veut dire par exemple que Métastase indiqué en index p. 240 et 253 se trouve en fait dans l’ouvrage aux pages 234 et 247. Sans commentaire ! Le tout était de trouver la solution, mais celle-ci devrait quand même faire l’objet d’un erratum collé en début d’ouvrage, car sans index cohérent, ce type de publication est inutilisable.
Signalons que ce type d’erreur technique de suivi de fabrication et de relecture n’est pas isolé, on remarque par exemple à la table des matières que la préface est attribuée à A. Terrier et A. Dratwicki, alors que l’introduction est créditée à Jérôme Deschamps !
Enfin, en ce qui concerne la pertinence même des index, on peut rester dubitatif à voir l’exemple d’un seul sondage sur Isis : l’entrée Isis de Lully/Quinault renvoie à la page 429 (donc en réalité 423), or c’est une erreur puisqu’il s’agit là de la cantate Isis de Nicolas Bernier, qui aurait donc dû avoir sa propre entrée. De telles erreurs à répétition laissent à supposer des incompétences notoires à plusieurs niveaux, indignes d’un éditeur scientifique1.
Troisième déception : l’absence de bibliographie, seconde chose à lire après les index. On me rétorquera que l’ouvrage est déjà trop volumineux et coûteux (il eut été judicieux de le publier avec l’aide d’un mécène pour en faire diminuer le prix de vente, vraiment trop élevé ; peut-être aussi aurait-il été préférable de publier deux volumes en gardant la division des deux colloques). En tous cas, une bibliographie, dans un ouvrage qui se veut scientifique, est un instrument de référence tout aussi fondamental que l’index. On aurait apprécié également, fut-elle courte, une présentation des auteurs que le commun des mortels n’est pas censé connaître (c’est une erreur de penser que ce type d’ouvrage est forcément réservé aux spécialistes).
Quatrième déception : l’introduction des directeurs scientifiques du colloque, qui ne compte que deux pages. Or il est indéniable qu’un ouvrage de cette importance aurait nécessité une véritable introduction de directeurs de colloque, et non une simple présentation analytique indigne d’une publication scientifique. Là, on reste vraiment sur sa faim.
Vingt-cinq essais s’emploient à détailler et illustrer l’invention des genres lyriques français, qui s’articulent plutôt bien entre eux, et qui couvrent la majeure partie de la question. La problématique générale développée dans l’ouvrage est novatrice : il s’agit de s’intéresser conjointement à la tragédie lyrique et à l’opéra-comique, dont une des composantes est la caricature du premier genre. Second intérêt de l’ouvrage, l’étude de la résurgence au XIXe siècle de l’opéra dit « classique » et de ses composantes devenues des « curiosités divertissantes », ainsi que de leurs prolongements au tournant du XXe siècle. Un des grands intérêts de la conception de ces deux colloques est leur pluridisciplinarité : Pierre Nora est cité à plusieurs reprises, et le théâtre, les lieux de représentation, la réception des œuvres, le cadre sociologique et les prolongations vers les œuvres du début du XXe siècle et même vers le cinéma sont tout à fait intéressants. Lully est bien sûr omniprésent dans ces réflexions, et l’on suit pas à pas à travers nombre d’articles les cheminements de sa création, des pastiches qui en sont issus, jusqu’à sa « redécouverte » avec la reprise d’Atys en 1987.
Comme toujours, chaque lecteur trouvera ses propres intérêts à la lecture de ces essais, assez inégaux – mais c’est là la règle de l’exercice. Personnellement, certains articles m’ont tout particulièrement intéressé, d’autres moins : la présentation de la prosodie, par O. Bettens, est fascinante ; la présence du personnage d’Hercule justement soulignée par K. Piechocki ; le rôle de Quinault par B. Noeman aurait certainement mérité plus de développement ; les jeux des forains et le rôle des foires sont particulièrement bien présentés par N. Rizzoni et I. Martin ; la naissance de l’interprétation constitue certains des prémices de notre théâtre lyrique moderne, comme le montre S. Chaouche ; le matériel musical de l’opéra-comique aurait mérité un essai moins touffu et souvent abscons que celui que lui consacre D. Charlton ; les parodies « spirituelles » de Lully constituent un autre des volets importants de ces études, par C. Picaut ; enfin, le renouveau de la tragédie lyrique par C. Corbier, Atys en 1987 par L. Naudeix et la fortune cinématographique de Lully par C. Segond-Genovesi montrent tout le chemin parcouru dans cette longue redécouverte.
Globalement, les choix des thèmes est bien venu, encore qu’un recentrage sur la France aurait pu alléger l’ensemble. Les spécialistes sélectionnés sont plutôt bien adaptés aux sujets traités, même si certains, comme Nicole Wild par exemple, n’ont pas été sollicités, ce qui est très regrettable. La présentation technique des actes des deux colloques est plutôt bien faite, avec des extraits musicaux et des illustrations en noir et blanc chaque fois que ces éléments sont susceptibles d’éclairer le propos. Mais on se doit surtout de saluer Jérôme Deschamps, l’initiateur de ces colloques, l’excellence de sa programmation et sa participation particulièrement active à la redécouverte du répertoire de l’opéra-comique français. De même, on ne peut que se féliciter de la publication d’un tel florilège d’essais d’une telle qualité, et l’ouvrage tel qu’il est, avec tous ses impardonnables défauts éditoriaux, restera néanmoins un jalon incontournable de l’étude de ce répertoire. Un ouvrage qui doit donc figurer dans toute bibliothèque, où il sera de la plus grande utilité tant aux spécialistes qu’aux amateurs.
Jean-Marcel Humbert
1 L’éditeur nous signale depuis avoir introduit un erratum pour le lecteur et avoir rendu les index corrigés accessibles sur leur site internet (http://www.symetrie.com/docs/Opera-comique-1-index-corriges.pdf)