Contempteurs de musique contemporaine, ne passez pas votre chemin ! Pianiste, chef d’orchestre, jazzman, co-directeur de l’Ensemble Contraste et aussi compositeur, Johan Farjot avoue rester « un pur produit du Conservatoire de Paris marqué par une école française héritée de Fauré, Ravel ou Nadia Boulanger ». Un album intitulé Lovescapes le confirme. Deux cycles de mélodies sur des poèmes de David Tepfer – Lovescapes pour soprano et piano ; Shikoku Songs pour ténor et piano – forment l’essentiel du programme, complété par une poignée de pièces vocales et instrumentales.
Sans s’éloigner des rives d’une réconfortante tonalité, la musique dessine à l’encre de chine des paysages aux reliefs estompés. « Havre de paix pour l’oreille et l’esprit, en accord avec les traditions de l’île de Shikoku, un lieu de méditation et de pèlerinage », explique David Tepfer dont la voix – parlée – berce la dernière plage de l’album (« One short moment »).
Une barque glisse sur des arpèges liquides. Affleurent, cachés derrière le brouillard des notes, les visages de Ravel, Britten, Copland et même Wagner dont l’esprit de Tristan hante certaines des mélodies de Lovescapes, recueil présenté par Johan Farjot, comme « la première pierre d’une tétralogie » ambitionnant à terme de devenir un opéra « dans un style à définir, qui soit digne du XXIe siècle ».
Pour l’heure, le compositeur dit avoir voulu « mettre en musique ce que l’amour dit du temps qui passe. Le temps qui s’arrête et le temps qui s’accélère vers une fin inéluctable ». Quête proustienne dont l’aboutissement doit beaucoup à l’excellence de ses interprètes. Ainsi, Johann Farjot, lui-même, s’appliquant à démontrer au piano l’adage selon lequel on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Ainsi Ambroisine Bré irradiée par les rayons de « Heart to heart », une déclaration amoureuse à un soleil d’hiver. Ainsi Jeanne Gérard épaulée par l’alto obsédant d’Arnaud Thorette. Ainsi Delphine Haidan qui d’une voix brûlante se consume dans le récit hypnotique de Kaguya inspiré par un conte japonais. Ainsi Stanislas de Barbeyrac et David Kadouch narrateurs inspirés de Shikoku, « l’histoire d’un couple qui se découvre au cours d’une aventure cycliste au Japon ». Puis Sandrine Piau, vouivre troublante intaillée en ces paysages d’amour (lovescapes) qui donnent leur nom à l’album.
A l’écart des abimes autant que des sommets, l’écriture vocale sait ne pas mettre en danger des chanteurs assumant leur accent français en cohérence avec une démarche multiculturelle où influences musicales américaines avouées et poèmes en langue anglaise rejoignent une francité originelle. En cette période de dry january, voilà un antidote à l’atonalité qu’il faut siroter tel un Oolong dont la longue infusion peut révéler des aromes envoûtants.