Spohr nous légua une centaine de Lieder dont la composition s’étend tout au long de sa carrière (de 1809, l’opus 25, il a 25 ans, à son opus ultime, le 154, écrit en 1856). S’il commença sa carrière comme violoniste, son intérêt pour la voix ne se démentira jamais. Ainsi dirigea-t-il des salles d’opéras à Vienne, Francfort et Kassel, pour lesquelles il écrivit.
Cet enregistrement est la réédition du 3e CD publié par Orfeo dans son coffret consacré à Dietrich Fischer-Dieskau, et du dixième de l’intégrale de ses enregistrements chez le même éditeur (Julia Varady, voix d’or et de feu). Qu’il est loin le temps où quelques courageux interprètes et éditeurs français osaient graver des Lieder de Spohr ! Si une intégrale nous est promise (par Felicitas et Judith Erb) sous le label Ars Produktion, nous n’avons à ce jour que des enregistrements fragmentaires signés de grands noms. Outre notre baryton et notre soprano, Hermann Prey, Eberhard Bücher, Evelyn Lear, Helen Donath, Anne Sofie von Otter ont laissé de belles réalisations. Evidemment, dans le sillage du célèbre Hirt auf dem Felsen de Schubert, les six Lieder de l’opus 103, avec clarinette obligée, sont disponibles dans plusieurs versions. Spohr répondait en les écrivant au vœu du dédicataire, le Comte Leopold von Lippe-Detmold.
Commençons donc par ces lieder confiés à Julia Varady (qui figurent à la fin du CD, dont c’est le couronnement). L’aurait-on oublié ? La clarinette se marie à merveille au timbre de soprano. C’est un pur joyau que cet opus 103. La clarinette, qu’illustra si bien Spohr après Weber, s’y fait la compagne amie, confidente, de la voix, agile, brillante, chargée d’une égale émotion. Hans Schöneberger y rayonne avec sa virtuosité humble. Ses phrasés, son articulation et ses couleurs sont un modèle. La voix de Julia Varady est alors au sommet de ses moyens expressifs : l’émission d’une rare fraîcheur, la palette est la plus large, comme l’égalité des registres avec de solides graves de velours. Le Wiegenlied de Fallersleben, outre sa beauté formelle et émouvante, permet d’apprécier le miracle que réalise l’interprète : les trois pauvres notes de la mélodie prennent ici une dimension poétique quasi métaphysique. La passion enfièvrée de Sei still mein Herz , de Wach auf ! aussi, lui permet de déployer sa voix caressante comme fougueuse dans toute sa splendeur. Une grande leçon, au travers d’une œuvre qu’il faut absolument découvrir, si ce n’est fait.
On connaît l’art de Dietrich Fischer-Dieskau, sans doute le plus grand baryton de tous les temps par sa capacité à illustrer magistralement les répertoires les plus larges, notamment le Lied auquel il a imprimé sa marque. Le premier cahier qu’il nous offre, l’ultime de la riche carrière de Spohr, est passionnant par son dialogue avec le violon (Dmitry Sitkovetsky), mais aussi par une réalisation de Erlkönig qui prend ses distances par rapport à Schubert, tout autant que celle de Carl Loewe. Un sens aigu de la déclamation, une écriture instrumentale riche, où l’ornementation virtuose tient toute sa place. L’esprit souffle : on perçoit aisément combien il anticipe les évolutions du Lied jusque Hugo Wolf.
Les six Lieder qui suivent, écrits entre 1809 et 1826, sont extraits de différents cahiers et reflètent bien la vaste production de Spohr. Le piano, seul à accompagner le chant, y prend toute sa dimension, qu’il s’agisse d’illustrer avec simplicité un chant écossais, strophique, ou d’animer le Zigeunerlied (Goethe) dont Busoni nous donnera une version tout aussi intéressante, ou le Vanitas ! Vanitatum vanitas, lui aussi de Goethe, jubilatoire à souhait. Le Schlaflied, berceur, est délicieux, quant à An Mignon, il aurait certainement plu à Goethe au moins autant que celui de Zelter.
Les qualités de Hartmut Höll, un des très grands accompagnateurs de la fin du siècle passé, ne sont plus à démontrer. Ce CD est un modèle du genre. Regrettons simplement que Spohr n’ait pas écrit de duos pour soprano et baryton : Julia Varady et Dietrich Fischer-Dieskau y auraient certainement rayonné avec cette complicité qui leur était propre.
L’introduction publiée dans la plaquette n’est pas traduite dans notre langue, mais tous les textes chantés sont publiés en français et en anglais.