Les concerts Pasdeloup : nul n’ignore le nom de cette prestigieuse institution. Mais qui sait qu’elle remonte à 1861 ? De fait, c’est tout récemment, le 27 octobre 2011, que l’orchestre Pasdeloup a célébré le 150e anniversaire du premier « concert populaire de musique classique ».
C’est donc en 1861 que Jules Pasdeloup (1819-1887), compositeur, enseignant et chef de l’orchestre de la Société des jeunes artistes du Conservatoire impérial de musique depuis 1852, décide de fonder une société de concerts avec l’ambition de diffuser la musique classique auprès d’un public populaire. Pour ce faire, il propose des programmes de qualité inspirés du modèle de la Société des concerts du Conservatoire, mais donne ses concerts dans un lieu excentré, le cirque Napoléon (qui s’appellera cirque National puis enfin cirque d’Hiver), et en pratiquant des prix d’entrée modiques. Le succès est au rendez-vous, mais l’entreprise ne résiste pas, après la chute du Second Empire, à la concurrence des concerts Colonne et Lamoureux, et connaît un long déclin, jusqu’à la retraite de Jules Pasdeloup en 1884.
L’auteur, Yannick Simon, est Maître de conférences à l’université de Rouen, et compte à son actif plusieurs livres dont l’excellent Composer sous Vichy (Symétrie, 2009, voir notre compte rendu). Avec le présent ouvrage, il continue – sur une période toute différente, la IIIe République – son étude de la vie musicale en France. En retraçant la vie de Jules Pasdeloup et en s’intéressant aux origines des concerts populaires, il décrit avec justesse et humour le caractère entier de ce musicien singulier, et analyse les programmes des concerts.
Ceux-ci, essentiellement orchestraux, laissent quand même place au domaine lyrique. On apprend ainsi que Wagner a été programmé 124 fois entre 1861 et 1884 ; les réactions du public à ces auditions sont décrites, et tout particulièrement les « joutes wagnériennes ». Les genres sont également détaillés et l’on découvre avec surprise que 20 % des programmes sont constitués d’ouvertures, dont 60 % d’ouvertures d’opéras qui ont la faveur du public. Pour l’essentiel, elles ont pour compositeurs Auber, Beethoven, Hérold, Méhul, Meyerbeer, Mozart, Rossini, Wagner et Weber, suivis, moins souvent, de Cherubini, Gluck, Halévy, Lalo, Nicolai et Reyer. À part ces succès, l’opéra est peu présent en concert, sauf à travers des extraits symphoniques. Mais, à partir de 1873, la musique vocale prend une importance croissante : de larges extraits d’opéras peuvent dès lors occuper une grande partie d’un programme, ravissant un public qui n’a pas les moyens de fréquenter les théâtre lyriques. La plus grande partie des solistes de ces concerts sont des chanteurs : on trouve en fin de volume leurs noms, parmi lesquels on relève ceux de Pauline Viardot et de Rose Caron.
Tout l’ouvrage, à la fois savant et érudit, fourmille de précisions de ce type. Sources, bibliographie, plusieurs index, c’est un plaisir de découvrir grâce à ces instruments indispensables la personnalité et les foisonnantes programmations de Jules Pasdeloup, qui fut néanmoins souvent très sévèrement jugé par les critiques de son temps. Pourtant, il fut l’« inventeur » d’un nouveau modèle de concert, dont la démocratisation de l’accès à la musique orchestrale est la principale caractéristique. Puis, outre la dimension éducative de son action, il a également osé des programmations souvent audacieuses.
Le travail de Yannick Simon est donc en tous points remarquable, et l’on regrette d’autant plus que l’éditeur n’ait pu suivre, malgré la subvention de la Région Rhône-Alpes, le souci de démocratisation de Jules Pasdeloup : en 277 pages, avec seulement quelques rares illustrations, ce livre est vendu au prix beaucoup trop élevé de 45 euros…