Là où elle passe, Louise Alder ne laisse personne indifférent. La soprano britannique s’est encore très peu produite en France, mais sa Semele dans la tournée dirigée par John Eliot Gardiner au printemps dernier n’est pas passée inaperçue. On espère donc la revoir à l’intérieur de nos frontières, et pas seulement par le biais des diffusions dans les cinémas. L’essor international que prend sa carrière devrait y contribuer : après avoir longtemps travaillé en troupe à Francfort, où l’on a notamment pu admirer son Atalanta dans Xerxes, elle a chanté le rôle-titre de La Calisto à Madrid et sera cet été Anne Trulove au festival de Glyndebourne dans la légendaire production signée John Cox et David Hockney. Avant tout mozartienne et haendélienne, la soprano avance néanmoins avec prudence. A son timbre charnu de soprano léger, Louise Alder ajoute ce sourire dans la voix et cette expressivité qui distinguent les véritables artistes des chanteuses qui se contentent d’émettre de beaux sons.
Le disque paru début janvier chez Chandos – en même temps que le volume 10 d’une intégrale Hugo Wolf dont elle est l’une des participantes, chez Stone Records – n’est pas le premier de la soprano. Sans compter les différents enregistrements auxquels elle a pu participer, elle proposait déjà en 2017 un récital en solo chez Orchid Classics, consacré aux lieder de Richard Strauss.
Pour ce nouvel album, Louise Alder a décidé de plonger dans le passé de sa famille. Après la guerre de Crimée, l’un de ses lointains ancêtres s’étant installé à Odessa, où naquit son grand-père en 1914. Dans cette famille de commerçants, on était polyglotte de génération en génération, et c’est vers le petit monde tchékhovien d’avant la Révolution russe que la soprano a décidé de se tourner, tout en choisissant des mélodies de compositeurs de nationalités diverses, avec cette spécificité que (presque) tous écrivent dans une langue autre que leur idiome maternel : le français pour Tchaïkovski, le russe pour Britten, l’allemand pour Grieg et Medtner, le finnois pour Sibelius qui parla le suédois jusqu’à l’âge de 6 ans. Malgré tout, les Rachmaninov sont bien en russe, ces mêmes mélodies qu’Elsa Dreisig avait choisi de rapprocher de Duparc et de Richard Strauss dans son récent récital. Louise Alder les aborde avec un timbre évidemment bien différent, et aussi un dramatisme plus immédiat, plus extraverti, du moins dans ceux des six poèmes qui peuvent le justifier.
Outre sa diversité géographique, le programme couvre aussi un spectre temporel assez vaste. Plus exactement, on pourrait opposer la majorité du programme, composée entre 1885 et 1905, en gros, et le cycle de Britten qui donne son titre au disque, datant de 1965 et dédié à Galina Vichnevskaïa (à qui la partie de soprano du War Requiem avait été destinée) et Mstislav Rostropovitch. C’est directement sur Pouchkine que le compositeur a fixé ses vues. Il est dommage que l’on n’entende pas plus souvent The Poet’s Echo, car il s’agit du meilleur Britten, et que Louis Alder interprète ici superbement.
Si on remonte dans le temps, on s’apercevra que la même personnalité forte se manifeste chez les différents compositeurs, même chez Sibelius ou chez Grieg. Les deux mélodies de Medtner, encore très peu fréquenté en Occident, donnent envie de mieux connaître ce contemporain de Rachmaninov. Les six mélodies de Tchaïkovski avaient notamment été enregistrées par Julia Varady, mais sans faire offense à cette grande dame du chant, on peut dire que Louise Alder en traduit peut-être mieux le côté espiègle et primesautier, dans un très bon français. Quant au pianiste Joseph Middleton, la vigueur d’attaque et de tempo avec laquelle il aborde ce même recueil offre une bonne illustration de son jeu très présent ; loin de s’effacer derrière la voix, son piano dialogue avec elle d’égal à égal.
Un détail à signaler : fait remarquable qu’apprécieront les russophones, le texte des poèmes mis en musique par Rachmaninov et Britten est reproduit en cyrillique, et non dans une translittération vers quelque langue occidentale comme c’est le plus souvent l’usage.