Si le nom de Hermann Zilcher vous est déjà familier, bravo, vous êtes sans doute un grand amateur de lieder et il faut se lever de bonne heure pour vous révéler des compositeurs que vous ne connaissez pas encore. Pour le commun des mortels, Hermann Zilcher risque fort d’être inconnu au bataillon. Né à Francfort en 1881, ce monsieur se fit d’abord connaître comme pianiste accompagnateur et comme compositeur. Devenu professeur de piano puis de composition, il eut notamment pour élève un certain Carl Orff. Directeur du conservatoire de Würzburg à partir de 1920, il eut nécessairement des contacts avec les autorités nazies, ce qui lui fut reproché après 1945. Démis de ses fonctions, condamné à couper du bois dans le cadre d’une épuration musclée, Zilcher mourut le 1er janvier 1948. Son catalogue compte notamment quelque 80 lieder avec piano, publiés entre 1904 et 1927. Disciple d’un maître qui avait été l’ami de Brahms et de Joseph Joachim, Zilcher resta toute sa vie un compositeur très sage, et il ne faut surtout pas s’attendre à découvrir quoi que soit d’audacieux ou d’avant-gardiste dans ses œuvres. On reste assez proche de Brahms, même si, ici et là, quelques harmonies post-wagnériennes suggèrent qu’il savait ce qui se faisait en musique autour de lui, du moins au tournant du siècle.
Le disque aujourd’hui réédité par le label Orfeo a été enregistré il y a 18 ans, par deux chanteurs encore à l’aube de leur carrière et qui, depuis, ont emprunté des chemins bien différents. D’une part, la mezzo Christa Mayer, désormais wagnérienne confirmée : elle est depuis plusieurs saisons Brangäne de Bayreuth, mais aussi Mary du Vaisseau fantôme. D’autre part, le baryton Konrad Jarnot, dont le parcours repose essentiellement sur le récital ou l’oratorio (il a d’ailleurs persisté dans la voie de Zilcher avec un disque monographique sorti en 2007 chez Oehms), ses incursions sur les scènes d’opéra s’étant faites de plus en plus rares. C’est une bonne idée que d’associer deux voix aussi distinctes pour enregistrer un tel programme, même si Zilcher prenait lui-même bien soin de varier autant que possible les atmosphères entre les différents numéros de chacun de ses recueils de mélodies, faisant se succéder le mélancolique et le guilleret, le majestueux et l’emporté, avec parfois des pastiches de musiques anciennes, choral moyenageux ou échos baroquisants.
Les deux chanteurs présentent, eux, des qualités complémentaires : Britannique comme son nom ne l’indique pas forcément, Konrad Jarnot possède une voix plutôt légère – Pelléas est l’un des rôles d’opéra qu’il a abordés – et privilégie la diction, sans craindre de chuchoter ou de crier presque pour explorer toutes les nuances possibles. Christa Mayer se repose davantage sur la beauté de son timbre voluptueux, profitant des envolées dans l’aigu pour laisser se déployer un organe solide, comme dans « Schließe mir die Augen », par exemple.
Dans ce bouquet de 24 lieder, on remarque d’emblée le soin apporté à l’accompagnement, qui permet au pianiste Carl-Heinz März de ne pas être un simple comparse, mais bien l’un des piliers de chacun de ces duos pour voix et instrument. Son jeu sait se montrer tantôt intérieur, tantôt virtuose, conformément aux exigences de Zilcher.
Si aucune page ne se détache véritablement de ce programme fort agréable à écouter, on remarquera le sujet mahlérien de « An ein sterbendes Kind » ou le « Guguck » tout à fait dans le goût de certaines évocations animalières du Knaben Wunderhorn.