Alors que Ciboulette a connu un triomphe à l’Opéra-Comique en février 2013 et une reprise tout aussi brillante à Saint-Etienne pour les fêtes, alors que ses mélodies tentent à nouveau les chanteurs depuis La Belle Epoque, le récital gravé par Susan Graham en 1998, les conditions paraissent favorables à un retour de Reynaldo Hahn sur le devant de la scène. Et pour aider les directeurs de théâtre qui voudraient sortir des sentiers battus, le label Forlane réunit en un coffret l’essentiel de ce qui a pu être enregistré de ou par ce compositeur entre les années 1930 et les années 1960, soit huit heures de musique. C’est grâce à sa collaboration fructueuse avec la maison Malibran que Forlane peut nous proposer ce superbe bouquet de raretés, dont le Mozart qui fut un temps disponible dans la série « Gaieté Lyrique » chez Musidisc, au début des années 1990.
L’un des intérêts de ces sept disques est de balayer à peu près toute la carrière de Reynaldo Hahn. Le jeune Vénézuélien arrivé à Paris à 3 ans publie ses premières mélodies en 1891, alors qu’il n’a que dix-sept ans. Les Chansons grises sur des poèmes de Verlaine incluent déjà une de ses mélodies destinées à compter parmi les plus appréciées : « L’Heure exquise ». On les entend ici interprétées par Arthur Endrèze, par Guy Ferrant, ou par le compositeur lui-même, d’une voix dont l’intelligence compense largement les défaillances physiques. C’est en 1901 que Reynaldo Hahn fait imprimer la partition de sa Pastorale de Noël, mystère en quatre tableaux sur un texte du XVe siècle, où il tente de retrouver une certaine « naïveté » qu’on prêtait alors à la musique ancienne, mais qui est loin d’atteindre les sommets de L’Enfance du Christ de Berlioz, aux ambitions plus ou moins comparables. Donnée une première fois en décembre 1906 chez Madeleine Lemaire, l’œuvre ne sera créée en public qu’en décembre 1908 sous la direction d’Inghelbrecht. C’est une vraie curiosité, où le texte parlé occupe néanmoins une place assez envahissante. En 1902, l’opéra La Carmélite, sur un livret de Catulle Mendès, est créé à l’Opéra-Comique par Emma Calvé et Lucien Muratore : le premier CD du coffret permet d’en écouter les « Stances du Roy ».
C’est après la Première Guerre mondiale que Reynaldo Hahn connaît un triomphe avec Ciboulette (1923). On ne trouvera ici aucun extrait de cette œuvre archi-célèbre, pour lequel on peut se reporter à l’album récemment édité par Malibran (voir notre compte rendu). Commence aussitôt après la collaboration du compositeur avec Sacha Guitry : pièce de théâtre agrémentée de quelques couplets chantés, Mozart voit ainsi le jour en décembre 1925, le rôle-titre étant interprété en travesti par Yvonne Printemps. Reynaldo Hahn avait fait de Géori Boué sa protégée dans les années 1940, et c’est à elle que revint après-guerre l’honneur de reprendre cette œuvre qui semblait jusque-là exclusivement attachée à sa créatrice. Pour Yvonne Printemps toujours, Hahn composa trois chansons sur des paroles d’Albert Willemetz, destinées au film de Fernand Rivers La Dame aux camélias (1934). On entend ici deux des trois (il manque la première, « C’est à Paris »), mais par une interprète qui n’a pas le timbre inimitable de l’ex-deuxième épouse de Guitry. Sacha et Reynaldo referont équipe en 1933 pour O mon bel inconnu, dont le coffret Forlane propose les excellents couplets de la Chalcographie (interprétés par la seule Arletty), puis le non moins savoureux duo « Qu’est-ce qu’il faut pour être heureux », où le compositeur lui-même donne la réplique à l’actrice.
En janvier 1931 est créé Brummell, sur un livret spirituel de Rip et Robert Dieudonné. Dans le concert de 1962, on goûtera notamment la prestation assez hilarante de Gabrielle Ristori, sans s’étonner de l’accent très franchouillard des interprètes dès que le texte inclut trois mots d’anglais. Inexplicablement, il y manque le très cocasse « Quand un cheval marche au pas » ; par bonheur, les extraits ajoutés permettent de l’entendre, ainsi que les principaux airs de la partition, par les artistes de la création, et notamment Jane Morlet en Lady Eversharp. Mars 1935 fut un mois faste pour Reynaldo Hahn puisque y furent créés, à deux jours d’intervalle, l’opérette Malvina, le 23 à la Gaîté-Lyrique, et son Marchand de Venise, le 25 au Palais Garnier. De cet opéra (repris Salle Favart en 1979), on trouve ici quatre airs enregistrés par les interprètes de la création, dont le superbe « Je le hais » de Shylock, magistralement incarné par le grand André Pernet. Malvina est une resucée de Véronique, avec plus de références politiques (la révolution de 1830 éclate à la fin du premier acte), et ce n’est pas l’héroïne, mais le héros qui se déguise pour s’introduire dans une boutique – où l’on vend des frivolité et non des fleurs –, puisque le compositeur Valérien des Ormeaux prend les habits du commis Jules pour s’approcher de la belle Malvina. La veine espagnole, présente même dans Ciboulette (qui devient au dernier acte Conchita Ciboulero), se traduit ici par le duo comique « Amour flambeau du monde », ou « Sierra » rime avec « ce qui vous siéra » et « Alhambra » avec « dans tes bras ». Dommage que le son soit moins bon pour les extraits ajoutés en complément, car les interprètes y sont préférables à ceux de l’intégrale donnée en concert en 1961 : Roger Bourdin est bien au-dessus du toujours vieillot Jacques Jansen au timbre pincé, et Renée Camia plus fine diseuse, plus spirituelle et moins divette que Lina Dachary, héroïne incontournable de tant de concerts de la RTF.
Quant au premier disque du coffret, on y entend la voix du compositeur en personne, dans un répertoire assez éclectique. Reynaldo Hahn chante comme il parle, avec un naturel et une liberté d’interprétation qui laisse pantois – des glissandos un peu limite, des ralentis extrêmes et de subites accélérations (« Toutes les fleurs » de Chabrier est pris à un rythme d’enfer) – mais aussi avec des intonations boulevardières qui évoquent étonnamment les chanteurs de café-concert de la Belle-Epoque (on pense plus d’une fois à Fragson). Hahn n’envisagea bien jamais de faire carrière de chanteur, mais il aimait se produire entre amis. Le meilleur de ce bouquet, on le trouve dans les deux airs de La Boulangère a des écus, qui donnent grande envie de découvrir la totalité de cet Offenbach négligé. On reconnaîtra que le chanteur anime admirablement l’air de Zurga des Pêcheurs de perles, qui tourne souvent au pensum, interprété par des voix autrement plus solides ; pour « Un aura amorosa » de Così, en revanche, le style est assez difficilement acceptable (et l’italien des plus douteux). La qualité sonore est assez approximative et très variable d’une plage à l’autre, mais il s’agit là d’un document à l’inestimable valeur de témoignage.