Longtemps les chanteurs étrangers ont eu à cœur de défendre la mélodie française, traitée avec un certain mépris dans notre pays. Il leur fallait pour cela une certaine forme de courage, et une maîtrise suprême de notre langue, acquise au prix d’une longue fréquentation de notre répertoire. On a encore pu voir récemment que sans la seconde, la première ne saurait suffire : l’ont assez prouvé le naufrage des mélodies de Fauré par une Ailish Tynan au français par trop imparfait, et l’intégrale Poulenc chez Signum Classics, qui relevait en partie de l’inconscience. Qu’allait alors donner Alice Coote avec son « French Songbook », venant après l’exquise réussite de son « English Songbook » ?
A part la Léonor de La Favorite (au Théâtre des Champs-Elysées en 2013), le Prince de Cendrillon (voir le DVD Virgin) et un Nicklausse occasionnel, l’opéra français n’occupe pas une place majeure dans la carrière de la mezzo britannique, qui se partage entre une poignée de rôles haendéliens (Ruggiero, Serse, Dejanira) et straussiens (le Compositeur, dans lequel on l’entendra à Paris en octobre, Octavian). Et pourtant, son français chanté est impeccable, magistralement articulé comme peu de chanteuses hexagonales en semblent encore capables. Inutile d’ouvrir le livret d’accompagnement pour comprendre le texte des mélodies ici réunies.
Autre sujet de satisfaction : la délicatesse avec laquelle l’artiste sait aborder ces pages. On avait déjà salué l’intériorité avec laquelle elle traitait les héros et héroïnes de Haendel dans son dernier récital au disque. Aucun risque du type « éléphant dans un magasin de porcelaine », donc. Alice Coote sait doser ses effets et sa voix pour ne jamais écraser ces partitions, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle susurre exclusivement à mi-voix. Le grave est sonore et nourri, sans être jamais trop appuyé, l’aigu est facile et épanoui, et le chant a juste ce qu’il faut de souffle pour qu’on y sente une présence humaine.
Enfin, cerise sur le gâteau, si la première moitié du programme est consacrée à des œuvres bien connues, la deuxième s’aventure dans des sentiers moins fréquentés, dont quelques superbes Reynaldo Hahn (« Fumée ») ou un Debussy pas si courant (« La grotte »). Saint-Saëns, un peu oublié ces temps-ci, est présent avec deux mélodies, Koechlin avec « Novembre », et le rarissime Bachelet avec « Chère nuit ». Le tout porté par l’excellent Graham Johnson, l’accompagnateur des plus grands. Que demander de plus ?