Il ne s’en cache pas : Laurent Pelly aime Chabrier, et il est infiniment regrettable que son admirable mise en scène du Roi malgré lui, vue à Lyon en 2005 puis à Paris en 2009, n’ait pas été immortalisée. Et comme il paraît peu probable qu’il s’attaque jamais à Gwendolyne ou à Briséis (Une éducation manquée serait en revanche très envisageable), consolons-nous avec L’Etoile dont l’Opéra d’Amsterdam lui avait confié une production.
La pilule pourra cependant sembler d’abord un peu amère, car le premier acte se révèle austère. Le royaume d’Ouf Ier ayant toutes les caractéristiques d’une dictature, le spectacle nous emmène tout droit vers la grisaille des ex-pays du bloc de l’Est, dans la morosité des années de guerre froide. Le plateau, nu en dehors des poteaux soutenant des haut-parleurs, n’est guère animé que par l’apparition de véhicules divers et variés, et il faut attendre la deuxième partie, située à la cour du souverain, pour que la couleur fasse son apparition, en même temps qu’un peu plus de gaieté. Pour le coup, on se croirait dans le grand-duché de Gérolstein, avec son château de bric et de broc et sa cour ridicule de douairières et de vieillards (et de domestiques à tête de chien). Les célèbres couplets du pal semblent avoir inspiré une prolifération de machines à engrenages démesurés. Tout cela se laisse regarder sans déplaisir, mais ne débouche pas sur la réussite espérée.
Heureusement, le versant musical rattrape amplement ce petit bémol visuel. C’est d’abord une grande satisfaction de découvrir en fosse Patrick Fournillier, fin connaisseur du répertoire français, chef que l’on invite évidemment partout sauf dans son pays natal. Dénuée de toute lourdeur, sa direction est un petit miracle d’élégance et d’esprit ; ainsi interprétée, L’Etoile s’inscrit incontestablement au panthéon de l’opéra-comique et n’a décidément guère à partager avec l’opérette. Un seul exemple : le quatuor des baisers, d’une grâce ineffable, comme en lévitation.
Bien sûr, cette réussite passe aussi par la réunion d’une équipe de choc, côté solistes, sans doute la meilleure qu’on puisse rêver aujourd’hui. En 2007, Stéphanie d’Oustrac faisait Salle Favart ses débuts dans un rôle que, sept ans plus tard, elle a eu le temps de maîtriser pleinement et qui lui convient à merveille, jusque dans les notes les plus graves (les redoutables « au fond de l’eau », par exemple) ; au travestissement en Gavroche à la Doisneau, elle joint une virilité de jeune coq tout à fait en situation. Hélène Guilmette est la plus somptueuse des princesses possibles : articulation impeccable, jamais excessive mais toujours parfaitement intelligible, et beauté du timbre, avec d’exquis aigus impalpables. Christophe Mortagne est depuis quelques années l’un des meilleurs interprètes des rôles de ténor de caractère qu’il chante un peu partout, et si l’aigu est devenu parfois tendu, on le lui pardonne compte tenu de ses dons de comédien. Le roi mélange ici les caractéristiques vestimentaires de divers monarques absolus : perruque louis-quatorzienne, bonnet de léopard à la Amin Dada, faciès digne de Franco… Dommage que le personnage soit finalement plus méchant que ridicule, mais la mise en scène l’a voulu ainsi. Un des grands moments reste néanmoins le duo de la Chartreuse verte, admirablement chorégraphié et chanté. C’est une surprise que d’entendre Jérôme Varnier dans un rôle comique : son allure de gourou halluciné est assez impayable, et les graves sont bien au rendez-vous. Seul non-francophone parmi les rôles principaux, Elliot Madore doit à sa nationalité canadienne de très bien maîtriser notre langue, même s’il n’a pas la faconde d’un François Le Roux dans la production lyonnaise de 1984. Québécoise comme Hélène Guilmette, Julie Boulianne complète fort bien le quatuor des voyageurs incognito avec François Piolino. Les chœurs du DNO font très bien ce qu’on leur demande. Quant au public, on l’entend rire, mais peut-être plus de certaines facéties scéniques que de la drôlerie du texte à proprement parler.
Maintenant que L’Etoile existe en DVD dans une version récente (il n’y avait jusqu’ici que la production Louis Erlo, remontant à 1984), peut-on imaginer qu’Opus Arte, dans sa démarche de diffusion des spectacles de Covent Garden, commercialisera bientôt la mise en scène que Mariame Clément a signée pour Londres en 2016, avec pratiquement les mêmes chanteurs ?