Ce volume au riche contenu est la publication des actes d’un colloque, organisé sous le même intitulé, qui s’est tenu en décembre 2014 à l’Opéra Comique. On est en droit de s’interroger sur cette longue attente, même si les normes universitaires imposent de longs délais entre les assemblées savantes et l’édition de leurs contenus. L’urgence n’était pas celle de la recherche d’un vaccin…
Vingt communications sont publiées, contributions d’autant d’historiens, sociologues et musicologues, certaines retenant plus particulièrement l’attention des curieux et des amateurs d’art lyrique. Pour la clarté du propos, compte tenu de la largeur, de la profondeur et de la variété des champs d’investigation, elles ont été regroupées autour de cinq thématiques :
Des amateurs aux néophytes ;
Les scènes de musiques actuelles et leurs publics ;
Pouvoirs et modes d’expression du public ;
Sensibilités musicales hors-scène ;
La sécurité des théâtres.
Si aucune intervention ne laisse indifférent, notre attention s’est focalisée plus particulièrement sur les articles suivants. « Quel théâtre lyrique pour le peuple ? », bien documenté, de Sylvain Nicolle. La contribution à la connaissance des expérimentations de la jeune IIIe République en matière de démocratisation de l’art lyrique pourrait nourrir utilement la réflexion actuelle. L’approbation par le public des « débuts », qui conditionnent une carrière de danseuse au XIXe siècle (« Au-delà de l’amateur de jambe », de Emmanuelle Delattre-Destemberg), sera une découverte pour beaucoup de lecteurs. Plus loin, une communication de Julie Deramond (« le public aux commandes à l’opéra ») permet de décrypter le fonctionnement des « trois débuts » au Capitole de Toulouse. Le public du Théâtre-Italien dans le premier XIXe siècle – « Le peuple dilettante », de Céline Frigau Manning – constitue une synthèse de qualité. L’aventure du « Chantier Woyzeck », action singulière en matière d’opéra contemporain (2013-2014), avec une volonté de diffusion musicale en milieu populaire, à laquelle prit part Gérard Astor, est riche d’enseignements.
L’étude des publics de Nancy Storace (1765-1817) par Emmanuelle et Jérôme Pesqué (auxquels on doit l’ouvrage de référence : Nancy Storace, muse de Haydn et de Mozart) intéressera non seulement les mozartiens, mais aussi ceux qui sont curieux des pratiques du temps. Ces publics diffèrent dans leur comportement selon les pays, comme le rôle de la claque, que décrit Matthieu Caillez. Une anecdote prêterait à sourire si la chanteuse n’était morte en scène après un sifflet, durant les Diamants de la Couronne, d’Auber, en 1861. C’est l’occasion pour Patrick Taieb de conduire une passionnante enquête. La disparition, puis les funérailles de Boieldieu, et les hommages qui lui sont rendus permettent à Joann Elart d’analyser ses publics à travers un important dépouillement d’archives.
Il faudrait énumérer la plupart des contributions tant elles sont variées et riches d’enseignements. Des suivantes nous ne retiendrons que les deux dernières, consacrées aux conséquences de l’incendie meurtrier de l’Opéra-Comique, en 1887, et aux conditions de l’assurance des théâtres au XIXe siècle. L’historien en charge de la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris, Didier Rolland, et la représentante d’un grand groupe d’assurances, Catherine Berton, éclairent ces sujets de leurs recherches, particulièrement bienvenues.
Il reste à souhaiter que la lecture de cet ouvrage suscite de nouvelles vocations : de nombreuses pièces manquent encore au puzzle, ainsi le XXe siècle lyrique. Comme il se doit pour ce type d’édition, celle-ci comporte une abondante bibliographie et un index des noms propres. En ces temps de confinement ou de couvre-feu, une lecture renouvelée, passionnante par ses approches diversifiées.