Alors qu’il devait, un demi-siècle plus tard, créer pour Falstaff un authentique discours musical comique, Verdi connut avec Un giorno di regno un tel échec qu’il renonça durablement à vouloir faire sourire en musique (avec Fra Melitone, quand même, le rire pointe son nez dans La Force du destin). Le fiasco tint en partie à des interprètes inadéquats, comme à la création de La Traviata, en partie à l’incapacité du compositeur, qui traversait une période particulièrement douloureuse. Devant livrer très vite sa partition, le jeune Giuseppe âge de 27 ans recourut à des recettes éprouvées, et l’on trouve dans cet opéra deux duos pour basses bouffes qui sollicitent la vélocité dans leur diction syllabique à la Rossini, et des héroïnes qui préfigurent un peu la leçon qu’offrirait Donizetti trois ans plus tard avec sa Norina de Don Pasquale. Pas d’airs inoubliables, pas grande originalité dans cette partition, mais on y entend malgré tout de la fort jolie musique, et quelques beaux ensembles solidement charpentés. Le public pourrait passer une très bonne soirée, à condition que le livret soit pris en main par un metteur en scène inspiré. Pier Luigi Pizzi est-il celui-là ? Pas sûr. Certes, il a monté jadis une trilogie rossinienne donnée à Monte Carlo, avec notamment La Cenerentola et L’Italienne à Alger, mais on le connaît plus pour le raffinement de son esthétisme que par la puissance de sa vis comica. De fait, on retrouve ici les caractéristiques habituelles de ses spectacles : décor monumental et implacablement symétrique, imitant les plus belles architectures italiennes du siècle de Palladio (on est très loin des environs de Brest où est censée se dérouler cette intrigue empruntée à la pièce française Le Faux Stanislas, d’Alexandre Duval), costumes Louis XIV unis, aux teintes choisies avec soin pour flatter l’œil. Autrement dit, tout cela est d’un goût exquis, mais on ne s’amuse guère, les vagues efforts « comiques » se réduisant à quelques grimaces ou à la présence d’un jambon dont les protagonistes découpent des tranches. On cherchera en vain la moindre direction d’acteurs, le jeu étant remplacé, selon une coutume hélas trop fréquente surtout dans les plus médiocres mises en scène d’opera buffa rossinien, par de petits pas de danse. D’ailleurs, le ton est donné dès l’ouverture, dont la musique guillerette est accompagnée sur scène par quatre couples de danseurs. Au finale du premier acte, on voit pourtant La Rocca adopter une gestuelle quasi sellarsienne, traduisant les principaux mots de son discours par un geste, mais il reste le seul à agir ainsi et les autres le regardent comme s’il était fou. On pourra en revanche trouver sur Youtube quelques vidéos d’un spectacle réalisé avec les modestes moyens du Cantiere internazionale d’arte de Montepulciano, qui laissent imaginer ce que pourrait être une version réellement comique d’Un Giorno di regno.
Par ailleurs, on attend encore une version réellement convaincante musicalement, car c’est aussi sur plan que pêche ce spectacle donné à Parme, créé à Parme en 1997 puis revu à Bologne en 2001 (les costumes ont un peu changé depuis 1997). Des différentes distributions que la production Pizzi a vu se succéder, Anna Caterina Antonacci est la seule à avoir été toujours présente dans le rôle de la marquise del Poggio. Le magnétisme de cette interprète fascine, l’un des rares effets comiques réellement associés à la musique lui est réservé lors de la scène de bain qui coïncide avec son entrée (les vocalises sont censées refléter la douleur d’une eau trop chaude), mais l’on rêve de ce qu’elle aurait pu donner, avec une vraie mise en scène. L’autre rôle féminin, Juliette de Kerbar, pour lui rendre son nom français, souvent incarnée par une mezzo, est ici confié à l’exquise Alessandra Marianelli, vue notamment en Serpina de La Serva Padrone à Jesi. Le personnage est touchant, le timbre charmant, le choix d’une soprano ayant sans doute été dicté par des considérations d’équilibre vocal par rapport à la voix plus sombre d’Antonacci (Jessye Norman et Fiorenza Cossotto étaient Giulietta et la marquise dans l’enregistrement dirigé en 1973 par Lamberto Gardelli !). L’élément féminin de la distribution n’est pas loin d’être le plus satisfaisant, car le rôle-titre a été confié à un Guido Loconsolo dépourvu de tout charisme vocal, qui présente une relative aisance dans le grave mais qui plafonne très vite dans l’aigu, avec de vilaines notes décolorées, et qui est incapable de faire exister ce personnage d’imposteur autour duquel toute l’action devrait s’articuler. Le ténor sicilien Ivan Magrì n’a hélas à offrir qu’un timbre acide comme on en accepte, faute de mieux, dans un répertoire particulièrement virtuose, mais ce n’est pas le cas ici. On se console donc avec les deux basses bouffes : un Paolo Bordogna qu’on a connu plus drôle, à condition d’être encadré par un vrai directeur d’acteur, et un Andrea Porta tout à fait correct. Donato Renzetti dirige d’une main agile cette partition qui n’a, on l’a dit, rien de bien révolutionnaire, mais qu’on ne serait pas mécontent d’entendre plus souvent.