Dans sa série TheMetropolitanOpera, Sony Classical poursuit sa politique commerciale en exhumant des enregistrements classiques audio live en partenariat avec la première scène lyrique new-yorkaise. Ces captations historiques sont extraites des célèbres Saturday matinée broadcasts, s’échelonnant entre 1947 et 1962. Si en dépit du méticuleux travail de restauration entrepris par Sony, la qualité de l’écoute n’est pas optimale (distortions occasionnelles et mesures manquantes dans le prologue et au début du 3e acte, deuxième scène), cette version de Roméo et Juliette est captivante à plus d’un titre : elle est une version de référence. L’opéra de Charles Gounod, pourtant un favori des scènes lyriques européennes, ne figure pas en tête des œuvres françaises représentées aux Etats-Unis, du moins à l’époque. Cette représentation, très attendue et fortement médiatisée, réunissant un cast de tout premier plan, répare cette injustice. Tout d’abord, il y a le Roméo de Jussi Björling, l’un des ténors favoris du Metropolitan Opera. Malgré sa voix solaire, le chant paraît parfois un peu fruste, la dimension poétique du personnage semblant lui faire défaut. Cela étant dit, on est frappé par le naturel et l’insolence de son chant (particulièrement dans le récitatif et l’ensemble « Ah ! Jour de deuil et d’horreur » à la conclusion du 3e acte. Sa Juliette est Bidú Sayão, pilier du Metropolitan pendant une quinzaine d’années dans une vaste galerie de rôles lyriques. La fraîcheur du timbre et l’exemplaire contrôle de la ligne complètent une parfaite caractérisation du personnage, offrant une Juliette quasiment idéale, tour à tour juvénile, passionnée et candide. Tout au plus, peut-on lui reprocher des élans trop véristes dans le duo final où ses sanglots paraissent excessifs : la captation en direct appelle ici l’indulgence. Sony Classical n’a pas jugé utile de mentionner que la scène et l’air de Juliette au 4e acte « Dieu ! Quel frisson court dans mes veines ! », suivie du 2e tableau (le Cortège nuptial et le duo final entre Juliette et Capulet) ont été supprimés. Le reste de la distribution est d’excellente tenue : Nicola Moscona (Frère Laurent) à la magnifique voix de basse, John Brownlee (Mercutio) sonore mais essoufflé, Mimi Benzell (Stéphano) au chant léger et communicatif, Clamae Turner (Gertrude) imposante nourrice, Thomas Wayward (Tybalt) à la lumineuse voix de ténor pour l’une de ses premières représentations dans ce théâtre. Seuls Kenneth Schon (Capulet) et George Cehanovsky déméritent quelque peu : voix engorgées, diction pâteuse et timbre nasillard. Bonne direction d’orchestre assurée par Emil Cooper, un rien routinière au 1er acte, mais opérant ensuite une belle symbiose avec les solistes et en particulier, avec le chœur. Un enregistrement historique mais surtout, indispensable, comme on les aime.
Claude-Pascal PERNA