L’opéra est pavé d’œuvres pas forcément indispensables mais nécessaires à la compréhension de son histoire. Les Abencérages de Cherubini par exemple, dont se souviennent surtout les admirateurs d’Anita Cerquetti qui offrit au titre une éphémère résurrection – en italien – à Florence en 1956 sous la baguette de Carlo Maria Giulini. La version française refit surface de manière tout aussi épisodique en 1975 à la RAI de Milan. A chaque fois, un enregistrement a gardé trace de l’exhumation. Conformément à sa mission de redécouverte du patrimoine musical français du « grand XIXe siècle (1780-1920) », le Palazzetto Bru Zane enrichit la discographie d’une nouvelle intégrale sur instruments historiques publiée en livre-disque dans la collection « Opéra français » – le 34e numéro de la série. Intégrale ou presque… D’une édition complète établie à partir de l’ensemble des partitions (conducteur, matériel d’orchestre et chant-piano) restées à l’état de manuscrits, seuls ont été écourtés certains ballets – notamment à la fin de l’acte III – qui avaient été étirés jusqu’à l’ennui par Cherubini pour satisfaire l’ego des danseurs « sans rien apporter à l’intrigue de l’opéra », dixit Alexandre Dratwicki.
Différents textes nous éclairent ainsi sur le contexte et l’intérêt musicologiques d’un ouvrage postérieur de seize ans à Médée, qui se situe à la frontière de la tragédie lyrique et du grand opéra, dans la continuité de La Vestale de Spontini. Cherubini parvient même, toujours selon Alexandre Dratwicki, à surpasser ce dernier musicien dans le traitement orchestral. L’ouverture laisse déjà entrevoir Weber et Mendelssohn « dans un trépidant Allegro spirituoso, non sans que l’esprit de Beethoven n’ait été d’abord convoqué pour signer le Largo initial, accidenté de bifurcations harmoniques et théâtrales ».
Les arguments en faveur de ces Abencérages, si convaincants soient-ils, sont détrompés par l’écoute. Non que l’Orfeo Orchestra de György Vashegyi, présenté comme « le partenaire idéal pour cette résurrection » échoue à animer le discours musical, mais les deux protagonistes auxquels sont confiées les pages les plus inspirées de la partition ne disposent pas du format attendu pour rendre justice à la noblesse de la déclamation lyrique. Appréciés en direct lors de la soirée qui suivit les séances d’enregistrement, Anais Constans, trop tendre Noraïme, et Edgaras Montvidas, Almanzor en berne, nous semblent au disque empêtrés dans le drapé antique de la tragédie. Surtout, l’œuvre – dont le succès lors de sa création à Paris en 1813 resta d’estime en dépit d’une distribution de premier choix et de la présence dans la salle du couple impérial –, n’atteint jamais les sommets expressifs et mélodiques promis par Médée. Nonobstant la nécessité historique de l’intégrale, le temps parait souvent long sous l’étendard de Grenade.