L’Enfance du Christ bénéficie d’une discographie abondante, et de haut niveau. Robin Ticciati a donc pensé, et à bon droit, qu’une nouvelle parution ne se justifierait que parce qu’elle apporte du neuf. Le chef britannique a donc décidé de nous livrer une lecture ultrasophistiquée, creusant chaque détail de la partition, zoomant sans cesse sur l’un ou l’autre groupe d’instruments, créant la surprise à tous les détours. Il faut reconnaître que le jeune maestro a un sacré talent, et que ce qu’il nous fait entendre relève parfois du prodige. L’ennui, c’est qu’une telle optique est foncièrement contraire à l’esprit même de l’œuvre, qui se veut toute de simplicité ingénue. L’Enfance n’est ni la Symphonie fantastique ni le Te Deum, et Berlioz s’y emploie à montrer qu’il sait aussi briller dans un style dépouillé et humble. Ses contemporains s’y sont d’ailleurs trompés, qui ont cru qu’il s’agissait d’une œuvre d’un maître de chapelle du XVIIIe siècle. La direction devrait se contenter d’ordonner ce bel équilibre, comme l’ont si bien fait Charles Dutoit (Decca) ou Philippe Herreweghe (HM). Exemple typique de cette surcharge d’intentions : les épisodes du récitant, qui devraient couler comme l’eau pure d’une source, mais qui sont ici sans cesse interrompus par des hoquets de bois ou de cordes. On comprend que les solistes de l’orchestre symphonique de la radio suédoise veuillent mettre en valeur leur virtuosité, qui est renversante, mais ce n’est pas le lieu.
Si l’on accepte de mettre de côté ce problème d’une direction trop démonstrative, le beau coffret proposé par Linn réserve de nombreux motifs de satisfaction. Habituée du rôle de Marie, Véronique Gens semble avoir encore approfondi sa vision du rôle. Mais contrairement au chef, cela ne se traduit pas par une surcharge d’effet, mais par davantage d’authenticité. Miracle du travail produit par les grands artistes, où le patient labeur permet d’aller vers l’essentiel. Son timbre, très légèrement fêlé, est idéalement celui de la Mère du sauveur, oblation totale de soi et pur amour. En Joseph, Stephan Loges est l’onction et la bonté même, et sa maîtrise du français égale presque celle de son épouse. Alastair Miles, conformément à l’habitude, tient les deux rôles d’Hérode et du Père de famille. Son expérience de vieux routier et ses réserves de timbre lui permettent d’incarner à la fois les angoisses d’un monarque schizophrène et la bonté d’un habitant de Saïs qui est seul à accueillir la sainte famille. Yann Beuron reste fidèle à lui-même : clair de ligne et de timbre, d’une intelligibilité irréprochable, il propose un récitant en tous points parfait.
Le véritable atout du double CD est cependant le choeur de la radio suédoise, bien connu pour avoir travaillé à de nombreuses reprises avec Claudio Abbado. En petit effectif (28 chanteurs), il a parfaitement pénétré l’esprit de cette pastorale chrétienne, et son interprétation toute en retenue et pureté nourrit un climat constant de ferveur. « L’adieu des bergers » aura rarement sonné aussi bien. Rien que pour eux, l’auditeur fera bien de jeter un coup d’oreille à cette Enfance du Christ.