« Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, ces castrats étaient ce qu’on pourrait appeler des « sex-symbols ». Leur apparence garçonne, leur statut de célébrité et leur physionomie unique en son genre motivaient des idées d’amour et de sexe chez les hommes comme chez les femmes. » Difficile de ne pas s’insurger en parcourant la notice qui accompagne le premier récital de David Hansen, mais l’agacement devant ces généralités totalement abusives qui feignent d’ignorer la silhouette difforme ou androgyne de nombreux castrats, cède la place au sourire lorsque nous découvrons la photo du beau gosse en jeans, pieds et torse nus, négligemment assis sur un trône d’or et de pourpre. Le marketing comme les metteurs en scène exploitent sans vergogne la plastique des chanteurs, nous en avons désormais l’habitude, mais en illustrant le propos du livret, cette photographie – empruntée au Giasone de Cavalli que l’Opéra de Pinchgut monte en décembre –, va plus loin et suggère une identité entre le virtuose du jour et ses illustres prédécesseurs. Cette équation ne s’arrête évidemment pas au physique, mais le rapprochement sur le plan vocal, tout aussi discutable, tourne cette fois à l’avantage de David Hansen.
Alors que ses pairs rendent généralement hommage à une figure prestigieuse (Senesino, Guadagni, Carestini, Caffarelli, etc.), le contre-ténor d’origine australienne a préféré butiner dans le répertoire d’une demi-douzaine de castrats, plus ou moins célèbres (même si Farinelli se taille la part du lion), retenant neuf pages pour la plupart napolitaines dont sept enregistrées en première mondiale. Sept et non huit, contrairement à ce qu’affirme l’éditeur, Angelo Manzotti ayant déjà gravé le fameux « Son qual nave » arrangé, en 1753, par un Farinelli toujours prompt, malgré ses quarante-huit ans et la sagesse que lui prêtent ses admirateurs, à faire étalage de ses prouesses techniques. Force est toutefois de reconnaître que la performance de David Hansen éclipse la version, trop tardive et souvent inaudible, du sopraniste italien (2007, Concerto), et ne laisse pas de fasciner. A l’instar du « Cadrò, ma qual si mira » d’Araia dont Cecilia Bartoli exhibait les dizaines de mesures de vocalises ininterrompues sur son album Sacrificium, le tube de Riccardo Broschi rehaussé de difficultés nouvelles pas son frère atteint un point de non retour où la substance musicale se dissout dans la prouesse et une jouissance sportives emblématiques des excès que la réforme de l’opéra voudra enrayer.
L’agilité et l’endurance du falsettiste impressionnent, de même que l’apparente facilité de l’aigu, voire du suraigu qui fuse tel du vif-argent dans les nombreux tours de force que privilégie le programme. Mais la contre-note ne fait pas le soprano et l’émission semble parfois aussi agressive, ce qui dérange moins dans la bravoure que dans le spianato où une écriture trop tendue compromet la ligne ainsi que l’intelligibilité du texte (« Non è più folle lusinga »). David Hansen ne recule devant rien et ne ménage pas son instrument. Les sauts d’intervalle, notamment, entraînent quelques périlleux glissandi, mais il surmonte les obstacles avec un aplomb et souvent un panache étourdissants. Est-il pour autant l’homme de la situation ou plutôt le super héros qu’elle réclame ? A trente-trois ans, le contre-ténor n’est en tout cas plus un novice, bien que Rivals soit son premier disque comme soliste. S’il a fait ses débuts à Aix en 2004 (Dido & Aeneas), David Hansen s’est surtout produit depuis dans son Australie natale et en Norvège, où il s’est d’ailleurs installé. Parmi la trentaine de rôles qu’il a déjà abordés, Nerone (Agrippina), Ariodante, Serse, Ottone (Griselda de Vivaldi) et Sesto (La Clemenza di Tito) donnent une idée sinon de ses moyens (nous ne l’y avons pas entendu), du moins de ses ambitions.
Les airs lents et propices aux épanchements, en revanche, souffrent d’une caractérisation sommaire, en dépit de quelques belles intentions (« Taci o di morte »). A l’instar de Farinelli dont il entend évoquer les rivaux, l’interprète doit lui aussi affronter la concurrence et ses adversaires l’emportent ici en termes de legato et de phrasé (David Daniels), de lyrisme (Bejun Mehta) ou encore de raffinement expressif (Philippe Jaroussky). Mais qu’il daigne quitter la stratosphère pour aborder le registre d’alto et l’émotion point, enfin : le « Cara Sposa » de cette Griselda de Bononcini sur laquelle s’ouvrait déjà, il y a plus d’un demi-siècle, un des premiers vinyles de Joan Sutherland, révèle la musicalité de son jeune compatriote et flatte un bas médium nourri et très phonogénique.
En guise d’orchestre, l’Academia Montis Regalis n’aligne en fait qu’un quintette à cordes, un clavecin et un théorbe, rejoints ponctuellement par un second clavecin et quelques vents (basson, hautbois, cors et trompettes). L’ensemble s’acquitte de son office avec un savoir-faire appréciable, quoique nous attendions un peu plus de relief et d’imagination de la part d’Alessandro De Marchi. Applaudi à l’Arsenal de Metz aux côtés de Nathalie Stutzmann en 2012 et plus récemment au festival de Froville avec l’Academia Montis Regalis dans ces mêmes numéros de voltige, David Hansen n’a, semble-t-il, pas encore foulé les planches d’une grande scène lyrique française. Nous sommes curieux de l’entendre, sans filet et avec un véritable orchestre dans la fosse.