Grand retour de David Daniels chez Virgin Classics, dans un programme plutôt inattendu. Il est vrai que l’on sacrifie une fois de plus aux morceaux choisis et les esprits chagrins se plaindront de voir ainsi échouer aux rivages du présent CD les membres horriblement dilacérés des grandes Passions et de la Messe en si. Pour ma part, je n’y vois nul inconvénient musical, l’ensemble étant au contraire rendu cohérent par une thématique volontiers doloriste ou regrettante.
Cela met en valeur admirablement ce que David Daniels a gagné ces derniers temps : une intériorité tranquille, assumée, audible dans la substance même d’une voix plus charnue, mais aussi dans une ligne de chant et dans une diction supérieurement tenues.
« Es ist vollbracht » est d’une plénitude et d’une sérénité qu’il est rare d’entendre à ce point, et même « Ich habe genug », si ordinairement dévolue à des voix graves (Virgin ayant déjà fait une exception pour Bostridge) trouve là une lumière méditative assez intéressante. Si l’on prend la chose par le minuscule bout de la lorgnette, on pourra penser que David Daniels répond, avec ce programme, à la surenchère de vocalises et d’exploits acrobatiques qui a sévi sur le marché du contre-ténor (y compris sous le même label) depuis quelques années, surtout depuis que l’on s’est avisé de considérer Vivaldi comme un grand compositeur – hem…
Harry Bicket – quel joli nom – fait corps avec son chanteur, et l’English Concert affirme des tons chatoyants, loin des coloris fades d’ensembles comparables (notamment en Angleterre, justement) : le modelé du phrasé semble avoir fait l’objet d’un travail commun, d’une recherche attentive. Il est emblématique d’une philosophie du chant baroque qui n’a rien d’un « juste milieu » entre vocalité ancienne et vocalité romantique, et s’inscrit plutôt dans une quête de couleurs et d’accents restituant aux partitions leur densité propre (une approche moins grammaticale que rhétorique).
Dans ses meilleurs moments, cet enregistrement est simplement fascinant.
Sylvain Fort