Cette nouvelle biographie de Franz Schubert (1797-1828) n’est pas une énième compilation paresseuse sur un compositeur pour lequel on a déjà fait couler beaucoup d’encre. Jean-Louis Michaux, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain, est écrivain mais avant tout médecin. Après de nombreux travaux notamment sur la leucémie, il a publié – on imagine depuis qu’il est à la retraite –, plusieurs monographies sur des musiciens et leurs pathologies (Le Cas Beethoven. Le génie et le malade 1999, Solitude Bartók, une leucémie cachée 2003, L’Autopsie de Mozart. Abattu par le déshonneur 2006) avant l’ouvrage qui nous intéresse ici.
On pourrait s’attendre de la part d’un médecin à une étude très précise et détaillée sur le cas clinique, en l’occurrence la syphilis de Schubert, accompagnée d’un texte sur le musicien et l’œuvre très en retrait et peu compétent. Il n’en est rien, car Jean-Louis Michaux est visiblement un mélomane qui connaît son sujet et semble s’ébattre dans le vivier du romantisme allemand comme un poisson (une truite ?) dans l’eau. C’est toute la sensibilité de l’époque avec laquelle on le sent en osmose. Son approche de Schubert se veut objective et s’appuie sur les faits, les témoignages des proches et les écrits de l’artiste lui-même. L’auteur suit la vie et la carrière du musicien pas à pas, juste assez près pour intéresser son lecteur, avec une distance respectueuse toutefois qui permet de prendre du recul et on lui en sait gré.
« Le lyrisme [de Schubert] révélait un sentimentalisme exacerbé par des chocs affectifs subis dès le plus jeune âge et une sensualité naturelle débordante » (p. 115) nous dit Jean-Louis Michaux. Cela dit, alors qu’il en instille l’idée très tôt, il faut attendre la page 120 pour que l’auteur développe sa thèse : Schubert aurait très bien pu contracter la syphilis non pas par l’intermédiaire d’une soubrette ou d’une prostituée, mais bien par l’un de ses amis très proches, avec des soupçons qui se tourneraient de préférence vers Schober, l’ami de toujours, de santé par ailleurs défaillante. L’homosexualité de l’artiste n’est pas une certitude, mais elle n’est pas à exclure.
La démarche universitaire de l’auteur est partout perceptible. Le propos est amené prudemment puis étayé à l’aide de documents concordants ou contradictoires, mais les idées ne sont que suggérées, pas assénées au lecteur, à qui l’on propose matière à réflexion, en somme. Le tout dans une démarche profondément didactique et vulgarisatrice, dans le sens noble du terme. Par-dessus tout, l’œuvre est celle d’un romancier à part entière, ce qui ne gâte rien. L’ouvrage se termine avec un index qui consiste en un répertoire des œuvres abordées et un dictionnaire des personnages cités. On ne peut que saluer le travail de cet universitaire pour qui la pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité font sens. D’ailleurs, son ouvrage a obtenu un prix en Belgique pour « son approche dialogique entre les arts et les sciences ».
Une bien belle biographie dont on sort très informé sur la vie et l’art de Schubert avec le sentiment d’avoir partagé un peu de son intimité et d’avoir pu approcher les affres de la maladie mais aussi les conditions de la création, tout en revivant l’ambiance conviviale des schubertiades. L’artiste, qui précisait dans son Journal en mars 1824 : « mes créations existent par la connaissance de la musique et par celle de ma douleur » (cité p. 138), garde toutefois son mystère et son pouvoir de fascination intacts sur un lecteur libre de retourner à sa musique avec une qualité d’écoute peut-être encore plus acérée…
Catherine Jordy