Le bicentenaire de sa naissance suffira-t-il à ce que l’immortel auteur du Chant du départ fasse son grand retour parmi les mélomanes ? Rien n’est moins sûr, mais on ne pourra pas accuser le Palazzetto Bru Zane de ne pas avoir fait tout son possible pour cela. Après une première salve en février (concert de Michael Spyres, parution discographique d’Uthal), nouvelle offensive sous la forme d’un épais ouvrage collectif : si avec tout ça, Etienne-Nicolas Méhul ne revient pas sur le devant de la scène, c’est que son cas est désespéré.
Le Fer et les Fleurs est un recueil d’articles qui propose d’aborder le sujet sous des angles variés. Les deux premières parties du volume sont les plus strictement historiques, puisqu’elles resituent Méhul dans son temps, face à la Révolution, puis en relation avec Napoléon, non seulement en tant que compositeur, mais aussi comme professeur au Conservatoire de Paris. La dernière partie, consacrée au jugement de la postérité, se penche sur ce que Cherubini et Berlioz ont écrit sur leur confrère, ainsi que sur les exemples que Castil-Blaze emprunte à Méhul pour son livre De l’opéra en France (1820). On trouvera aussi un étonnant article sur « Méhul horticulteur à Paris », consacré à la maison du compositeur à Pantin, et sur son jardin. Et l’ouvrage s’achève sur une évocation du curieux parcours de Joseph, seul opéra ayant vraiment survécu puisqu’il fut choisi comme vecteur de la « panthéonisation et classicisation » de Méhul, comme l’explique Olivier Bara : après le succès d’estime remporté à la création, en 1807, le XIXe siècle s’acheva sur la concurrence entre Garnier et Favart pour une double reprise en 1899, avec pour l’Opéra de Paris une version « wagnérisée », avec récitatifs, face à une interprétation bien plus respectueuse à l’Opéra-Comique.
La partie centrale du livre étudie Méhul à travers diverses facettes de son activité de compositeur : le ballet (genre qui lui vaut de grands succès et que, comme c’est alors courant, il pratique en empruntant à droite et à gauche), la symphonie, la musique sacrée – c’est l’occasion de revenir en détail sur la fameuse « fausse » messe pour Napoléon – la musique de scène pour le théâtre, et bien sûr l’opéra. Avec vingt-cinq œuvres destinées à l’Opéra-Comique et cinq conçues pour l’Opéra de Paris, Méhul serait déjà quantitativement un compositeur lyrique important. Qui plus est, quelques-uns de ses titres se maintinrent au répertoire bien après son décès : Stratonice (1792), bien sûr, mais aussi d’autres aujourd’hui oubliés. On s’intéressera ainsi à l’étude statistique réalisée par Etienne Jardin, qui permet de mieux cerner les œuvres qui s’imposèrent à ses contemporains. Maxime Margolié s’attarde sur Euphrosine ou Le Tyran corrigé (1790) premier essai lyrique de Méhul, qui fit l’effet d’un « séisme esthétique » en introduisant dans l’univers de l’opéra-comique des caractéristiques jusque-là propres à l’opéra (trente ans plus tard, le librettiste de Matilde di Shabran s’inspirerait de l’intriduge initialement conçue par François-Benoît Hoffman). Emmanuel Reibel revient aussi sur Uthal, dont l’habillage ossianique enveloppe une structure tout à fait classique.
Après avoir lu cet épais volume, si vous n’êtes pas encore rassasié, sachez qu’un colloque pluridisciplinaire est prévu à Givet, ville natale du compositeur, le 21 octobre, sur le thème « Méhul et la dramaturgie ». Dans la première moitié XIXe siècle, il avait d’abord fallu faire de Méhul un romantique malgré lui pour le rendre plus attrayant. Ensuite, la Troisième République s’était accaparé le compositeur d’un des hymnes révolutionnaires pour en faire un compositeur français par excellence, adepte d’une simplicité savante. Sous quels traits faudrait-il aujourd’hui le peindre au public pour que Méhul retrouve sa faveur ?