« Tutto nel mundo è burla » (le monde est une farce) s’esclaffe Falstaff à la fin de l’ultime opéra de Verdi. Réplique testamentaire dont Vincent Lepalestel se fait l’exécuteur le temps d’un roman-bouffe (sic) édité par Le Troubadour.
Le Dîner de Paris – du nom d’un authentique restaurant installé au XIXe siècle dans le Passage Jouffroy, près des Grands Boulevards, aujourd’hui disparu – prend l’histoire de la musique sur le ton de la farce. On y dépeint Verdi et Wagner copains comme cochons, attablés durant près de deux cents pages, ripailleurs et plaisantins. Nous sommes en janvier 1858. Le premier, couronné de succès, s’apprête à représenter à Rome Un bal masqué ; le second, plus discret sur ses compositions, est en train d’écrire Tristan et Isolde. A rebours de la légende, nulle rivalité entre les deux hommes mais, au contraire, une admiration non feinte et une complicité à toute épreuve. Ce rendez-vous clandestin n’est qu’un épisode de leur amitié, largement entretenue le reste du temps par une correspondance aussi abondante que secrète.
D’ailleurs, pour ne rien cacher, Richard en pince pour Giuseppe qui de son côté, tel un Charlus en goguette, ne fait pas mystère de ses préférences masculines. Il ne refuserait d’ailleurs pas, en guise de quatre heures, le petit Fantin-Latour. Caché derrière un pilier voisin de leur table, ce dernier ne perd pas une miette d’une conversation qu’il s’attache à retranscrire, mot à mot, pour la postérité.
Bien que réunis dans le plus grand incognito – leur intimité ne doit pas être affichée au grand jour alors qu’on les croit ennemis féroces –, les deux compères croisent malgré eux le gotha artistique de l’époque : de Saint-Saëns à Tchaïkovski en passant par Tourgueniev, Baudelaire, Andersen, Théophile Gautier, sa fille Judith et pas mal d’autres. Tout ce beau monde semble s’être donné rendez-vous dans cette gargote pourtant populaire. Difficile dans ces conditions de passer inaperçus. Selon les cas, on échange quelques mots lourds de sens ou on s’esquive pour ne pas être vu.
Fiction ? Non, uchronie qui demande de solides connaissances lyriques pour comprendre la teneur de dialogues émaillés de citations d’opéras, de références musicales et historiques. Il s’agit d’une lecture à réserver exclusivement aux connaisseurs dotés d’une certaine forme d’humour.
En première partie, La Sorelle vagabonde consiste en un échange de lettres tout aussi fictives entre des interlocuteurs aussi divers qu’Emmanuel Muzio (1821-1890) – chef d’orchestre et professeur de chant italien, seul élève de Giuseppe Verdi, son ami et, dans l’ouvrage, son amant –, Arrigo Boito (1842-1918) – le compositeur de Mefistofele et librettiste d’Otello et de Falstaff – , Cosima (1837-1930) et Siegfried Wagner (1869-1930) – respectivement l’épouse et le fils de Richard Wagner – ainsi que Franz Werfel (1890-1945) – époux d’Alma Mahler (1879-1964), poète, romancier, dramaturge autrichien et auteur de Verdi, Le Roman de l’Opéra. Ce roman, écrit en 1924, aurait pour source cette fameuse rencontre au Dîner de Paris retranscrite par Fantin-Latour. Dans une de ses lettres, Verdi affirmait « Peindre la vérité, c’est bien, je ne dis pas non, mais l’inventer, c’est tellement mieux ! ». Fallait-il nécessairement le prendre au mot ?