Amateurs de spectaculaire, passez votre chemin : il n’y a rien à voir. Ici, pas de diva, pas de divo, pas de divan. Pas de dieux faisant subir d’épouvantables destins à de pauvres mortels, pas de névrosées finissant l’œuvre en se suicidant ni de pauvres héros seuls contre tous. Dans cette musique, tout est très mesuré, très british, pourrions-nous dire mais en aucun cas ennuyeux même s’il s’agit de musique sacrée, vocale a cappella et essentiellement en latin.
Pour situer le musicien, disons que Thomas Tallis était un compositeur anglais de la Renaissance et, en tant que membre de la Chapelle royale, il s’est trouvé vivre à une époque pour le moins troublée et inconfortable, religieusement parlant. En effet, catholique convaincu et constant, les monarques pour lesquels il a travaillé ont quant à eux assez régulièrement marqué des alternances confessionnelles sans jamais pourtant l’inquiéter outre mesure. Citons Henry VIII (catholique puis anglican), Édouard VI (anglican), Marie Tudor (catholique) et enfin Elizabeth I (anglicane).
L’objet qui nous occupe aujourd’hui est un coffret bleuté renfermant – pour un prix très modique – l’intégrale de la musique du compositeur, le tout réparti sur dix CD. Il s’agit en fait d’une réédition sous une forme légèrement différente d’un coffret précédemment sorti chez le même éditeur qui lui-même l’avait repris chez l’éditeur original du groupe, à savoir Signum Classics (vous suivez ?). Le « bonus » ici tenant essentiellement à la présence du CD-ROM contenant les textes et leur traduction en anglais.
En effet, entre 1996 et 2004, le groupe Chapelle du Roi formé à la base de huit jeunes chanteurs (fondé en 1994) et dirigé par Alistair Dixon (né en 1961 et membre de l’actuelle Chapelle royale de sa Gracieuse Majesté) a patiemment entrepris l’enregistrement, disque par disque, de la totalité de la musique disponible de Tallis. À chaque sortie d’un nouveau volume, la critique a toujours salué la réussite des chanteurs et de leur chef. Chaque facette de l’art du compositeur a ainsi été traitée, souvent de manière chronologique : musiques catholique, anglicane, latine, anglaise, profane et même instrumentale. Si certaines pièces comme l’archi-célèbre Spem in alium à 40 voix bénéficiaient déjà de nombreux enregistrements, d’autres ont alors vu leur toute première gravure et nous avons pu découvrir des œuvres non seulement intéressantes mais en plus, ce qui ne gâche rien, très bien interprétées. Pour la petite histoire, il faut savoir que nos musiciens se doublent également de musicologues puisqu’une maison d’édition qui leur est associée publie les partitions modernes de ce qu’ils chantent.
Pour en revenir à la musique et en dépit de ce que l’on pourrait penser de prime abord, l’ensemble est assez varié aussi bien dans le traitement des voix qui passe de la plus parfaite homophonie au tissu contrapuntique le plus serré, permettant parfois de faire claquer des syllabes d’un chanteur à un autre, que dans le style. En effet, de temps à autre au détour d’un fragment de messe ou de motet, c’est pratiquement une chanson profane parisienne ou bien une pièce dans l’esprit de celles de son ami William Byrd que nous croyons entendre ! À d’autres moments, le ton est plus sévère et l’aspect musique sacrée est là bien présent. Un dernier point concernant la musique instrumentale (luth, clavecin ou orgue) : ces pièces ne sont pas originales mais constituent des adaptations ou des arrangements, et sont souvent contemporaines du compositeur.
Pour conclure, si ce coffret ne constitue pas vraiment une nouveauté, les amateurs de musique de la Renaissance en mal d’intégrales bien réalisées et peu onéreuses trouveront là leur bonheur.