Est-ce fin 1890 ou début 1891 ? Dans leur guide d’écoute respectif de Iolanta et Casse-Noisette, André Lischke et Hélène Cao avancent deux dates différentes. Cette année-là, le directeur des Théâtres Impériaux, Ivan Vsévolojski passe une double commande à Piotr Ilyitch Tchaïkovski, un opéra d’une part et un ballet d’autre part. Le premier est élaboré sur un livret de Modest, le frère du compositeur, à partir d’une pièce du dramaturge danois Henrik Hertz (1797-1870), La fille du Roi René. Le sujet du second est inspiré du conte d’E.T.A Hoffmann, Casse-Noisette et le roi des souris. La création eut lieu le 18 décembre 1892 à Saint-Pétersbourg. Le public préféra l’opéra au ballet. La critique, elle, fut dans l’ensemble négative. « Au total, Iolanta de M. Tchaïkovski est tout de même une œuvre faible » put-on lire dans la presse russe.
Il parait qu’Aleko, faillit être créé en même temps. Comment ? Pourquoi ? Ce nouveau numéro de l’Avant-Scène Opéra ne nous le dit pas mais en profite pour inclure dans son analyse le premier opéra de Sergeï Rachmaninov, portant à trois le nombre d’ouvrages traités en un seul volume. N’est-ce pas trop ? On est droit de s’interroger lorsque l’on relève avec surprise des approximations auxquelles la revue nous a peu habitué et que certaines questions soulevées par ces trois œuvres restent sans réponse. Par exemple, quelles raisons poussèrent Tchaïkovski dans son ultime opéra à tourner le dos d’un point de vue formel au modèle wagnérien ? Quel regard porter aujourd’hui sur Rachmaninov en tant que compositeur d’opéra, Aleko étant la première de ses oeuvres à figurer au catalogue de L’Avant-Scène Opéra. Quelles relations artistiques entre Tchaïkovski et Rachmaninov et quelles similitudes entre Iolanta et Aleko ? Etc.
Ce 290e opuscule déparerait-il une collection dont chaque numéro se pose d’habitude en référence ? Ce serait porter un jugement hâtif autant que sévère. Qu’il s’agisse de Iolanta, de Casse-Noisette ou d’Aleko, on plonge comme à chaque fois à la source de ces trois ouvrages ; on explore, livret en mains, les méandres de partitions que l’on aurait tort de réduire à une succession de numéros ; on enquête, on creuse, on fouille, on cherche le sens des symboles accumulés par Iolanta en regrettant que Louis Bilodeau dans sa psychanalyse de l’œuvre n’ait pas davantage pris en compte l’homosexualité du compositeur et du librettiste ; on relit Alexandre Dumas, auteur en 1844-45 de la révision de Casse- Noisette ; on découvre le chorégraphe Marius Petipa qui plaça une fillette au cœur de son ballet en référence probable à sa propre fille, « désespérément tuberculeuse » ; on entrevoit la personnalité du jeune Sergeï Rachmaninov, déjà doué, inquiet du succès de son premier opéra, humble et exigeant lorsqu’il se réjouit de pouvoir juger de visu ses erreurs scéniques ; on s’étonne de ne jamais avoir considéré Aleko comme un opéra vériste, quand le format resserré de l’ouvrage – un seul acte –, la date de création – 1893 – et son sujet sanglant semblent inviter à le ranger dans cette catégorie, et, après avoir lu l’article de Nicolas Derny, on comprend pourquoi on ne l’avait jamais fait ; on consulte les discographies, les vidéographies et les calendriers des représentations à travers le monde, se prenant à rêver devant telle ou telle affiche ; on se félicite que, par mesure d’économie, les comptes rendus des CD et DVD, livres soient désormais réservés à la seule version en ligne de l’Avant-Scène Opéra. C’est autant de pages gagnées à condition de les utiliser pour analyser encore plus en profondeur et non pour augmenter le nombre d’ouvrages par numéro.