Pour tous ceux qui cherchent un livre en français sur Leonard Bernstein, une référence s’impose : la monographie de Renaud Machart publiée en 2007 chez Actes Sud, dans la série Classica. Concis mais bien senti, non dépourvu d’humour, c’est le texte d’un critique musical qui tente d’aborder toutes les facettes du personnage (compositeur-chef-pédagogue), sans chercher à dissimuler ses goûts personnels, sans se gêner pour déclarer que telle œuvre est tout bonnement ratée ou que telle autre lui paraît géniale.
Le volume que viennent de faire paraître les éditions Ashgatepropose une approche radicalement différente. Musicologue de son état, Helen Smith y traque l’hémiole, l’anacrouse et la septième mineure augmentée, avec forces extraits de partition à l’appui (près de cent cinquante passages commentés et comparés), et avec des sous-titres aussi alléchants que « Techniques motiviques » ou « Tritons et quintes ». Profanes qu’effarouchent ces termes abscons, vous qui ignorez les rudiments de l’harmonie et du contrepoint, passez votre chemin, ce livre n’est peut-être pas pour vous.
Le lecteur prêt à s’accrocher un peu découvrira en revanche une mine d’informations passionnantes sur les différentes œuvres scéniques de Bernstein, qui incluent même son invraisemblable Messe de 1971, mélange de rock et de musique savante, très proche de créations exactement contemporaines comme Jésus-Christ Superstar. Le plan suivi par ce livre est strictement chronologique, avec huit chapitres correspondant aux huit Opus étudiés ; West Side Story est évidemment le plus connu, et les autres se rattachent soit au genre du musical (On the Town, Wonderful Town), soit à l’opéra (Trouble in Tahiti, A Quiet Place), certains ayant un statut plus ambigu et une histoire plus mouvementée (Candide, 1600 Pennsylvania Avenue). Helen Smith analyse admirablement les influences subies par Bernstein et détaille tous les effets de pastiche présents dans ses compositions ; sur ce dernier point, il y a de quoi faire, Lenny ayant toujours eu le don de mémoriser toutes sortes de musiques pour les réemployer de manière plus ou moins parodique. La structure de certaines scènes fait également l’objet d’une étude approfondie (par exemple, la scène 6, « Island Magic », de Trouble in Tahiti).
Evidemment, il n’est pas question ici que d’analyse des parties chantées : à propos de On the Town, Helen Smith s’attarde assez logiquement sur les passages symphoniques, correspondant aux ballets dont cette œuvre est émaillée. Elle évoque aussi les différents projets restés sans suite (un opéra sur l’Holocauste, un autre d’après Le Cercle de craie caucasien). La conclusion souligne l’éclectisme assumé du compositeur, éclectisme qui n’était nullement un obstacle à l’affirmation de sa personnalité, de ses quêtes et de ses espoirs, mais qui laissa parfois dubitatifs le public et la critique. Smith elle-même nuance son jugement : Bernstein est pour elle un grand musicien, un grand ambassadeur de la musique classique, mais pas un grand compositeur américain. Il eut (souvent) le succès de son côté, mais les vrais novateurs étaient ailleurs.
