Eros, Thanatos et Thalassa : sous l’égide de ces trois entités, on peut rassembler à peu près tout ce qui s’est composé depuis quelques siècles. Et même si ce titre allitère copieusement en français, il relève du joyeux amalgame, ou de l’art d’accommoder les restes. Beaux restes, souvent, il est vrai, mais dont la mise bout à bout ne manque pas d’étonner. C’est peut-être le but, connaissant l’excentricité cultivée et revendiquée par Patricia Petibon.
Dans la diversité du programme, on retrouve des ingrédients de précédents récitals. On se souvient de son programme hispanique composé autour de la mélancolie, à l’automne 2011, pour le disque et pour le concert : le compositeur français Nicolas Bacri y figurait déjà avec ses Melodias de la Melancolia spécialement conçues pour l’occasion, et s’y ajoutent différents titres espagnols ou sud-américains. Au chapitre des vivants, il est rejoint par Thierry Escaich, qui permet à Patricia Petibon de reformer son duo avec Olivier Py. La mélodie française était déjà à l’honneur dans le disque La Belle Excentrique (Poulenc, Fauré, Hahn) et on en retrouve ici une pincée. Un zeste de musiques anglo-saxonnes : chanson avec John Lennon, art song avec l’Américain Robert Baksa (né en 1938), même si les poèmes d’Emily Dickinson ont suscité des mises en musique plus passionnantes que son « Heart! We will forget him », et traditionnel avec ce « Danny Boy » auquel Renée Fleming a donné ses lettres de noblesse.
Là où l’on a plus de mal à suivre, c’est quand la soprano use et abuse de certains condiments dont elle est coutumière. Que l’air marin lui plaise (momentanément) plus que la douceur angevine, soit, mais de là à glisser un peu partout le bruit du ressac et des notes de cornemuse, pour créer l’ambiance… Ces arrangements ne seront probablement pas du goût de tout le monde, et l’on pourra trouver que l’accordéon a une curieuse manière de s’introduire là où il n’était pas du tout prévu.
Fidèle à son habitude, la Petibon a trop recours à la voix blanche et aux notes fixes, comme si elle voulait concurrencer en expressivité l’harmonica de verre ou les ondes Martenot, sacrifiant au passage la qualité de la diction. Et pourquoi terminer certaines strophes de « La rencontre » de Jean Cras comme une Olympia dont la voix s’évanouit faute d’électricité ? Que la soprano s’invente pour « La Maja dolorosa » une voix bien plus grave qu’elle ne l’a, c’est un peu étrange (merci les micros) et cela nous vaut des reprises de souffle vraiment très audibles. Mais le pire est atteint avec la pourtant charmante mélodie du Brésilien Francisco Mignone, « Dona Janaina » (1938) : ce texte qui évoque une dame se baignant dans la mer telle une sirène en maillot rouge, pourquoi l’assortir de toute sortes d’insupportables cris d’oiseaux avant et pendant la musique ?
Imperturbable, Susan Manoff est toujours la fidèle accompagnatrice qu’on connaît. Heureusement, certaines des partitions, plus épargnées que d’autres (Fauré, notamment), sont livrées telles que leur compositeur les a voulues, sans être agrémentées de facéties diverses. Yann Tiersen a lui aussi droit au piano seul. Les interventions des autres instruments tantôt s’intègrent parfaitement aux morceaux, tantôt s’apparentent à un bruitage superflu, mais c’est bien sûr une question laissée à l’appréciation de chacun. Si vous n’aimez pas le fourre-z’y-tout, n’en dégoûtez les autres. D’accord.