Il fut un temps où les chefs d’orchestre, parvenus à un âge canonique, confiaient à une jeune stagiaire la tâche de recueillir avec fidélité et minutie la précieuse semence de leur mémoire. C’est ainsi que nous pouvons aujourd’hui pénétrer dans le monde évanoui des Bruno Walter, Felix Weingartner, Josef Krips et y croiser des chanteuses ou des violonistes dont nul n’a gardé le souvenir, sans parler des très méchants intendants et de politiciens sourdingues.
Rien de tel avec Daniel Barenboim, fort éloigné de la confession et des souvenirs, malgré quelques incursions sur sa découverte de Salzbourg en 1952. Au contraire, ce livre présente une série d’articles sur des thèmes assez variés – l’éthique, Gaza, Don Giovanni – dans une traduction élégante.
Domine ici la réflexion philosophique sur la musique, dans son rapport notamment avec l’éthique et la politique. La conviction de Barenboim est que des liens souterrains mais puissants existent entre musique, morale et politique. Cela passe par une certaine vision de la relation humaine, par des mécanismes intellectuels, par le sens même qu’on peut donner à l’écoute musicale. Le propos est clair et intéressant.
Ses prises de position sur le Proche-Orient sont connues et il est intéressant de lire ici résumés les grands axes de ce positionnement, éclairé par l’Histoire mais aussi par l’histoire personnelle – l’enfance de Barenboim fut largement israélienne. Dans les circonstances actuelles, cette voix n’est pas seulement celle de la sagesse, car Barenboim ne pose nullement à celui qui sait mieux. Elle est celle d’un artiste qui se demande ce que l’art peut faire pour abattre les barrières. Les tentatives sont belles, un peu désespérées, inefficaces et cependant vitales.
Un peu plus brouillons – étrangement – sont les propos sur la musique elle-même. Quelques éclairages passionnants ne suffisent pas à nous rassasier sur Don Giovanni, Wagner ou les opéras de Verdi. Le format « entretien » n’aide pas forcément car il rend le propos plus décousu qu’il ne devrait. En revanche l’hommage à Fischer-Dieskau oublié en Allemagne lors de la mort du Maître est profondément touchant.
Un ouvrage de bon aloi, quelque peu victime des contraintes propres à cet exercice, mais il vaut mieux passer ce temps de lecture avec Daniel Barenboim qu’avec un sous-écrivaillon mis en avant par la rentrée littéraire.