Il y a des enregistrements qui plongent l’auditeur dans un certain embarras : alors que tous les artistes réunis y livrent des prestations très correctes, et même excellentes pour certains, d’où vient que l’on ne parvient pas à manifester pour le disque en question un véritable enthousiasme ? Dans La concordia de’ pianeti, les chanteurs sont très bien, là n’est pas le problème. On distinguera en premier lieu la mezzo roumaine Ruxandra Donose, au timbre prenant, convaincante dans ses airs, et qui réussit même l’exploit d’habiter d’une authentique vie les récitatifs du Jupiter qu’elle interprète. Mais les autres méritent aussi des éloges. La base Luca Tittoto est un Saturne éloquent, et Daniel Behle semble désormais chez lui dans ce répertoire du XVIIIe siècle qu’il défend très régulièrement à la scène ou au disque. Delphine Galou est une admirable Vénus à la voix grave, et Veronica Cangemi se tire plutôt bien du rôle de Diane. Les deux contre-ténors sont bien différenciés : Carlos Mena fait son grand retour, mais il risque fort d’être éclipsé par Franco Fagioli, aux moyens autrement plus impressionnants. L’orchestre et le chœur que dirige Andrea Marcon flattent l’oreille par leurs riches couleurs. Bon, alors qu’est-ce qui ne va pas ?
Eh bien, le souci, c’est l’œuvre. Caldara est loin d’être un compositeur de seconde zone : enregistré par René Jacobs en 1996, son oratorio Maddalena ai piedi di Cristo (1700) fit figure de révélation, dévoilant une personnalité majeure de la musique religieuse du siècle des Lumières. On comprend que d’autres chefs aient eu l’envie d’aller explorer la production de ce Vénitien employé par les plus grands, à la cour de Mantoue, puis à Rome et enfin à Vienne, où il devint vice-kapellmeister de l’empereur en 1716, jusqu’à sa mort survenue vingt ans après. La plupart de ses opéras, au nombre de 89 (!), attendent encore d’être tirés de l’oubli où ils dorment depuis des lustres. Jusqu’ici, les musicologues ont surtout repêché sa musique religieuse et, curieusement, des œuvres rattachées au genre de la serenata, comme Il più bel nome ou la présente Concordia de’ pianeti. Curieusement, parce que ce genre semble avoir consisté à enfiler les airs virtuoses sur les livrets les plus dénués d’intérêt dramatique. Le texte de La concordia nous donne à entendre une longue conversation entre les dieux, dont le but est d’affirmer que l’impératrice d’Autriche Elisabeth mérite sa place sur l’Olympe, tant ses incomparables vertus l’élèvent au-dessus des simples mortels. Même les divinités d’abord rebelles doivent admettre que la sublime Elisa est au moins leur égale, sinon leur supérieure. Il ne se passe strictement rien, et tout cela n’a à peu près aucun intérêt. Le plus grave, c’est évidemment les conséquences de ce livret sur la musique : à l’impossible nul n’est tenu, et Caldara n’a pas pu rendre palpitante cette guirlande d’arias où chacun a droit à ses deux airs (sauf Vénus qui en a trois).
Une conclusion s’impose donc : recréer des œuvres oubliées, c’est très bien, mais peut-être faut-il montrer encore plus de discernement dans le choix des défunts à ressusciter. Le texte d’accompagnement nous apprend qu’Andrea Marcon « a dû visionner des tonnes de microfilms » avant que son choix se porte sur La Concordia. Pourtant, on se demande si la résurrection était bien nécessaire : l’injonction « Lève-toi et marche » n’est valable que pour qui est capable de marcher à nouveau, ce qui ne semble pas tout à fait vrai dans le cas présent.