L’émotion qui bouleversa Charles Gounod à la lecture de Mirèio, pouèmo provençau écrit en 1859 par Frédéric Mistral (1830-1914), nous vaut l’un des ouvrages lyriques les plus attachants du répertoire français. Ouvrage, disons-nous, car il est difficile de caractériser plus précisément Mireille : opéra-comique lors de sa création, le 19 mars 1864, avec des dialogues écrits en vers contrairement à l’usage ; opéra en trois actes avec fin heureuse et récitatifs de 1865 à 1874 ; puis, en 1901, partition de nouveau tragique en cinq actes qui attendit 1939 pour être rétablie dans sa version « originale » par Reynaldo Hahn. Cette succession d’épreuves a fait du huitième ouvrage lyrique de Gounod un opéra à numéros, sublime parfois, charmant toujours, mais inégal car dépourvu de l’unité dramatique de Faust ou de Roméo et Juliette.
Pourtant, malgré ce handicap et contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire ces derniers temps, Mireille n’a jamais quitté l’affiche, ni de la Salle Favart (Cyril Diederich la dirigeait en 1993) ni des autres maisons d’opéras : Liège (1998), Nice (2001), Toulon (2007), Tours et Marseille (2009). Au même titre que Lettres de mon moulin ou Manon des sources, elle demeure un emblème immuable de cette Provence qui lui sert de décor et dans laquelle elle puise son inspiration. Elle est d’ailleurs l’une des seules œuvres françaises à emprunter au folklore local, procédé dont, plus à l’est, les écoles slaves feront leur marque de fabrique. Simplement, et c’est là son problème, Mireille, en passant de Mistral à Gounod, a perdu son sujet central : la langue provençale, cette langue chantante et chatoyante qu’elle incarne et qui, en littérature, naît et meurt avec elle. La faute à Michel Carré, le librettiste, dont les vers prêtent aujourd’hui davantage à sourire qu’à s’extasier : « A toi mon âme, je suis ta femme », « Amis, voici Mireille, la belle sans pareille ! », etc. Sous sa plume, le poème épique, qui se voulait à la langue d’oc ce que l’Iliade est au grec et l’Eneide au latin, s’embourgeoise et devient une banale histoire d’amour contrarié au parfum bon marché de lavande. Transfigurée par la convention, l’héroïne de Mistral rejoint la cohorte des sopranos en révolte contre l’autorité paternelle : Leonora (la Force du destin), Gilda, Brünnhilde et surtout Louise de Charpentier qu’elle prélude. « La loi du théâtre et les limites de la représentation possible imposent un douloureux travail d’élimination » écrivait, prophétique, Gounod à Mistral en 1863.
La correspondance du compositeur traduit par ailleurs l’enchantement qu’il éprouve à la découverte de la Provence : « Ce lieu est beau et pur comme l’Italie : c’est l’Italie de la France ». Au contraire du livret, la musique de Mireille, simple, voire naïve, mais sincère sait se hisser au niveau de son sujet. Indispensable, ce nouveau numéro de l’Avant-Scène Opéra, réalisé sous la direction de Gérard Condé (dont la biographie de Gounod, parue cette année chez Fayard, s’impose déjà comme la référence), fait mieux que nous le rappeler : il nous le démontre.
Christophe Rizoud