Il y a des artistes qui peuvent tout se permettre, notoriété aidant. Il y en a auxquels on est prêt à pardonner beaucoup, parce que leur personnalité a quelque chose d’infiniment rafraîchissant. Patricia Petibon a très tôt pris l’habitude de n’en faire qu’à sa tête, quitte à ne pas plaire à tout le monde. Tant pis pour les puristes et autres grincheux, rien n’est pire que le consensus mou.
Pour son nouveau disque, c’est à la mélodie française que la Petibon s’attaque, la mélodie au sens le plus large du terme, puisqu’elle ne s’arrête pas à Poulenc mais inclut aussi Léo Ferré. C’est l’occasion pour la soprano de nous présenter ses divers visages, celui du clown comme celui de l’artiste sérieuse. Et l’on ne se borne pas à un classique récital chant-piano, puisqu’à la fidèle Susan Manoff s’ajoutent cinq instrumentistes, avec des résultats parfois très heureux, comme la présence du violoncelle dans « Je te veux » d’Erik Satie. Ailleurs, on pourra trouver que ces effets sonores viennent plutôt parasiter la musique : c’est surtout Manuel Rosenthal qui « bénéficie » de ces arrangements qui ont tendance à nuire à l’intelligibilité du texte. Peut-être aurait-on pu se passer des sifflets sur « La Statue de bronze » de Satie, du miaulement à la fin de « Ba, be, bi, bo, bu » de Poulenc ou des aboiements pour accompagner « Fido » de Rosenthal. Quant aux prétendus « interludes » auxquels on a donné le nom de célèbres danseuses du Moulin-Rouge, et qui durent chacun moins d’une minute, il ne s’agit guère que de quelques mesures de La Belle Excentrique de Satie confiées à l’accordéon ou aux percussions. Pas de quoi fouetter un chat, mais ça n’apporte pas grand-chose non plus.
Il y a donc de la bouffonnerie, mais pas seulement. Patricia Petibon sait faire preuve de pudeur et de délicatesse dès qu’il le faut, qu’il s’agisse de chanson (superbe « On s’aimera ») ou de mélodie. Fauré et Reynaldo Hahn sont traités avec tout le respect nécessaire, et cependant ils sont abordés avec cette voix qui exclut tout vibrato, à tel point qu’on croirait parfois entendre Philippe Jaroussky, qui s’est essayé à cette musique dans son disque Opium. Le résultat est étrange, un brin désincarné, mais très rafraîchissant et nous fait redécouvrir une musique qu’on croyait presque trop connue. La voix n’en retrouve pas moins toute son ampleur à certains moments, notamment pour les célèbres « Berceaux » de Fauré en fin de parcours.
Et bien sûr, dans le registre comique, la Petibon est reine, depuis les graves d’outre-tombe qu’elle s’invente pour l’occasion, jusqu’aux aigus délibérément aigres avec lesquels elle ressuscite l’inimitable voix de Pauline Carton pour un hilarant « Allons-y, Chochotte » en duo avec Olivier Py. Tous deux y sont excellents (leur duo dans « Jolie Môme » est un peu moins convaincant) et l’on rêve désormais de les entendre susurrer « Viens sous les palétuviers » et tant d’autres merveilles de l’entre-deux-guerres.
Bref, comme l’aurait dit Léo Ferré, « c’est extra ». Même si c’est parfois un peu extra-terrestre.