Deux disques pour honorer Massenet, c’est peu, mais c’est mieux que rien. Le premier se consacre au répertoire symphonique, à la mélodie (trois seulement) et aux compositions pour piano, ces dernières étant un peu sur-représentées, même si le Concerto pour piano est bizarrement amputé de sa première partie. Aucune nouveauté dans tout ça, bien sûr, ce serait trop beau, mais quand même quelques plages devenues presque introuvables, comme l’air de Thaïs par la très grande Janine Micheau, ou l’air de Salomé par une inimitable Crespin, d’une chaste volupté presque suffocante.
Pour offrir un échantillonnage de l’ensemble de la carrière lyrique de Massenet, EMI doit, malgré la richesse de son catalogue, faire se côtoyer l’excellent et le beaucoup moins bon, non sans quelques lacunes des plus regrettables. En puissant dans les intégrales, volumes d’extraits et récitals divers et variés, le parcours va du Roi de Lahore à Roma, de 1877 à 1912, et c’est très bien ainsi, mais un trou béant s’ouvre au beau milieu : quid d’Esclarmonde ? Joan Sutherland ayant enregistré l’œuvre pour Decca, et la version du festival de Saint-Etienne étant sortie chez Koch Schwann, EMI n’a apparemment personne à nous proposer pour « Esprits de l’air, esprits de l’onde », et cette absence est assez regrettable.
Le minutage est généreux, mais les morceaux s’enchaînent au point de se superposer presque, et monsieur untel termine à peine son air que madame unetelle lui emboîte le pas sans un instant de répit. Pour avoir des chances de se vendre, cet album doit en passer par certaines figures imposées, et EMI a voulu mettre en avant les plus célèbres de ses artistes maison, même s’ils ne sont pas tous à leur meilleur : Dessay, Villazon, Domingo, Callas… L’intervention de Roberto Alagna (le songe de Des Grieux) se justifie pleinement et l’on regrette de ne pas l’entendre davantage. Que n’a-t-il enregistré un album Massenet pour le centenaire !
Pour Manon, trois sopranos nous sont proposées dans le rôle-titre, la magnifique Ileana Cotrubas étant sans doute la plus adéquate, n’en déplaise aux deux autres, sa compatriote Angela ou notre Natalie. Dans Werther, comme il n’est pas certain que le personnage de Charlotte ait été écrit pour une mezzo, on ne goûtera pas forcément l’incarnation de Tatiana Troyanos, alors que Nicolaï Gedda donne son habituelle leçon de style dans le Lied d’Ossian.
Dans la jeune génération, Joyce DiDonato est un admirable Prince Charmant, rôle qui lui est peut-être davantage destiné que Cendrillon, où il lui a plu de s’illustrer récemment. Comme d’habitude Rolando Villazon, très (trop) présent sur ce disque avec pas moins de quatre airs – il est hélas le seul ténor à avoir enregistré pour EMI des airs d’opéras plus rares –, satisfera ses admirateurs et exaspérera ses adversaires par son ardeur un peu systématique. On pourra aussi comparer le français superlatif de nos artistes hexagonaux d’autrefois à ce que faisaient de notre langue un Kraus ou un Domingo ; dans Le Cid, ce dernier semble chanter quelque chose comme « Ö souvérain, ô zuze, ô père ».
De manière assez intéressante (et sans doute économique pour EMI, qui n’a pas eu à commander un texte à un critique vivant), le livret d’accompagnement reproduit le dernier chapitre de Mes souvenirs, dans lequel Massenet avait eu l’idée curieuse de relater lui-même son enterrement. Par ailleurs, mais ce n’est qu’un détail, on est ravi d’apprendre que l’héroïne du Cid s’appelle Chimère [sic]… Bon, maintenant il serait temps qu’EMI passe aux choses sérieuses et nous livre une authentique nouveauté, ou même un inédit : après tout, il ne manque pas d’opéras de Massenet qui attendent encore d’être enregistrés ou réenregistrés.