Le rapprochement mérite d’être fait : il y a précisément cinquante ans, Nikolaus Harnoncourt publiait sa première version de la Messe en si chez Teldec. Sa durée était, à la seconde près, celle de l’enregistrement que publie maintenant William Christie. La comparaison s’arrête là. Dans le premier cas, un jeune musicien qui avait pris le parti de rendre à tout ce qu’il touchait son éclat premier, son urgence. Dans le second, un homme dont le parcours aura été aussi riche, au terme de sa carrière, qui se propose de « montrer le visage humain de l’art de Bach ».
Dès le monumental Kyrie, naissent les interrogations. C’est indéniablement beau, chanté avec soin, mais où sont le cri, la supplique ? William Christie a choisi de ne pas choisir : version hybride, à «petits» effectifs (cinquante cinq interprètes tout de même) où le chef joue depuis le clavier pour neuf des vingt-six numéros de la partition. L’indépendance, la liberté revendiquées restent au stade des intentions. Faute de réelle direction, on reste dans un compromis médian, sage, voire un peu scolaire. Les tempi sont alertes, mais avec des phrasés peu articulés, linéaires, la dynamique n’y gagne pas par rapport aux versions monumentales de jadis. Malgré la qualité indéniable des solistes, le Christe demeure conventionnel. Si les plans sont clairs et le chœur chevronné, le Gloria, pressé sinon précipité n’y gagne pas en jubilation. Où est la lumière émerveillée du Et in terra pax ? Le Laudamus te chanté par Katherine Watson confirme ses qualités, sans pour autant convaincre. La fugue du Gratias agimus tibi est propre, aseptisée, ça avance, mais sans relief aucun sinon la progression de l’écriture. Le Domine Deus, aux deux flûtes légères, nous vaut un beau duo de la soprane avec Tim Mead. Le Cum sancto spirito, pris très vite, sans que la justification soit évidente, conclut avec brio la première partie, comme il en ira du Osanna de la fin, démonstratif. Cessons l’énumération… c’est toujours propre, impersonnel, aseptisé, ça avance, mais le plus souvent lisse, d’où toute dimension sensible ou dramatique semble retenue, y compris dans le Crucifixus. Le texte, aux consonnes souvent estompées, n’est compréhensible que par le familier de la liturgie romaine. Où sont la ferveur, la grandeur, le recueillement ? Aucun soliste ne démérite, avec une mention spéciale pour Reinoud van Mechelen, dont le Benedictus, est chargé de poésie sereine.
Un enregistrement qui n’ajoute rien à la riche discographie de la Messe en si. Les inconditionnels de William Christie et des Arts florissants apprécieront.