Comme son nom ne l’indique pas, The Brabant Ensemble n’a de relation à Bruxelles, Louvain et à l’ancienne région belge, que l’hommage rendu aux compositeurs qui firent sa gloire du XIVe au XVIe sècles. Son fondateur, Stephen Rice, est un pur produit de la polyphonie et de la recherche universitaire anglaises. Familiers de ce répertoire qu’ils illustrent régulièrement, ils signent aujourd’hui leur vingtième enregistrement, consacré exclusivement à Josquin, dont on commémore le 600e anniversaire de la disparition.
Toutes les pièces retenues sont données pour authentiques par la nouvelle édition des œuvres de Josquin (NJE), ce qui n’est pas indifférent, compte-tenu de l’avancement des recherches depuis l’édition de Smijers. Les huit motets, suivis de deux fragments de messes, sont donnés dans leur intégralité, à la différence de nombre d’enregistrements qui n’en retiennent que la première partie. Ces derniers sont peu nombreux, depuis Konrad Ruhland (Herreweghe, The Hilliard Ensemble, Dufay Ensemble, Orlando Consort, A sei voci…), et encore moins ceux qui sont disponibles.
C’est dire que ce généreux CD est bienvenu, réalisé par un chef de chœur musicologue, spécialiste de la Renaissance. Sa formation de 13 chanteurs se décline en fonction des pièces, de quatre à six voix, avec de nombreux passages à deux ou trois voix, l’ensemble complet étant réservé au Stabat mater a 6. Ainsi sommes-nous très loin des masses chorales que privilégiait souvent le siècle passé, même si Konrad Ruhland ouvrait la voie, dès 1966. Il en résulte une clarté, une souplesse incomparables. Pas de voix d’enfants, certes, mais les parties de cantus sont chantées par des voix si juvéniles que l’émission pourrait induire en erreur. Les subtils dosages, propres à chaque pièce (ici, là, telle partie est confiée à un seul chanteur, alors que les autres le sont deux voire à trois) permettent des équilibres proches de la perfection (les curieux pourront relire l’excellent ouvrage de Jean-Pierre Ouvrard * et y trouver les sources les plus sûres).
L’exemplaire contrepoint, avec – évidemment – l’écriture imitative et les canons, est traduit avec une grande justesse. Aucun effet séraphique ni réverbération, que cultivent certains, mais un naturel qui sert le texte autant que sa traduction vocale. La seule (petite) réserve concerne la distorsion de certains aigus des sopranos, pris un peu bas, mais gageons que seuls quelques ayatollahs de la justesse l’auront perçue. L’Alma redemptoris mater / Ave regina caelorum, à quatre parties, combine les deux mélodies de plain-chant, véritable exploit, qui ne manquera pas d’être salué et imité par les successeurs de Josquin. L’auditeur, sensible à la clarté et au naturel du déroulé du propos, ne devine pas l’extraordinaire travail d’écriture qui le sous-tend, avec toutes les références à la rhétorique d’alors. Lorsqu’il en prend conscience, c’est un univers auquel il accède avec humilité et ferveur.
Les (bonnes) surprises abondent pour qui est familier de l’univers du compositeur. Ainsi, le Domine, ne in furore n’est pas celui qu’on croit… mais une version du psaume pénitentiel différente de celle publiée par Petrucci. Cette version (NJE 16.7), d’une richesse illustrative insoupçonnée, mérite d’être connue. Les deux fragments de messe (publiés eux aussi par Petrucci en 1505) sont plus usuels en leur temps que les messes unitaires. Josquin contribuera à les imposer comme modèles. Le Gloria apparaît quelque peu archaïque dans son écriture, privilégiant les deux parties centrales. Le Sanctus intègre la trame d’un motet publié auparavant…le réemploi était amorcé, qui fera fortune durant les siècles suivants.
On peut écouter ce disque comme un outil de recherche de paix intérieure, pourquoi pas ? Mais ce serait rester à la surface, aussi nous vous invitons à la plongée, elle est fascinante.
La plaquette, exclusivement en anglais, mérite l’attention pour l’introduction très documentée de Stephen Rice.
(*) Josquin Desprez et ses contemporains (…) Guide pratique d’interprétation, Actes Sud, 1986.