« Josse des pres (sic) …trepassa l’an 1521 le 27 d’aoust » [épitaphe de la pierre tombale]. Ce cinq-centième anniversaire de la disparition du « prince des musiciens » s’ouvre par plusieurs publications ou rééditions, d’un égal intérêt.
Les quatre-vingt chansons de Josquin constituent un riche corpus, dont la fortune fut singulière, puisque publiées encore un demi-siècle après sa mort. Ce corpus est varié, de 3 à 6 parties, tout comme les formes, le seul point commun à la plupart des pièces étant l’usage fréquent de canons dissimulés dans la trame polyphonique.
En 1988, Dominique Visse et ses amis de l’Ensemble Clément Janequin nous livraient un enregistrement qui constituait la meilleure introduction aux chansons de Josquin. Trente-trois ans après, après avoir de nombreuses fois sur le métier remis son ouvrage, l’avoir poli et repoli, le chef et chanteur nous offre aujourd’hui seize chansons des vingt-quatre de son Septiesme livre, édité par Susato en1545, bien après la disparition du maître. Les interprètes ont évidemment été renouvelés, mais la marque imprimée par le chef est bien reconnaissable. Toujours, il se conforme aux usages du temps : un chanteur par partie, des voix d’hommes, sauf le superius. Le luth, l’épinette ou le positif se mêlent parfois aux voix, et jouent la Bernardina, dont les trois parties, sans texte, sont manifestement instrumentales.
Comme le rappelle la notice d’accompagnement, « les chansons de Josquin peuvent s’adapter à la formation dont dispose la maison dans laquelle on les interprète : des voix, certes, mais aussi, si besoin, des instruments ». Chanter, jouer la musique de ce temps pose le problème de l’auditeur du XXIe S. Celui-ci, en dehors des spécialistes, n’a pas le plus souvent capacité à percevoir, donc à apprécier, la subtilité de l’écriture polyphonique, complexe, ainsi que les canons qui s’y dissimulent. Le choix des voix rend parfois l’intelligibilité difficile, quelles que soient les qualités d’émission et d‘articulation des interprètes, d’autant que la prononciation ancienne s’impose. En octobre 2018, Romain Bockler enregistrait pour le même label un remarquable CD (Josquin intime) consacré lui aussi aux chansons de Josquin. La voix et le luth, auquel étaient réduites les autres parties, traduisaient avec art la dimension poétique, mais la polyphonie se trouvait reléguée au second plan. Le problème reste ainsi posé.
En dehors des pièces de Gombert et de Vinders (publiées dans le recueil par Susato), nous découvrons six chansons nouvelles par rapport à 1988. Celles qui sont reprises le sont à des hauteurs et formations différentes (seuls des hommes chantaient dans la version première ; aux quatre violes se substituent les claviers, le luth restant commun). Allegez moy prend dans la nouvelle gravure une toute autre dimension, guillerette et coquine à souhait. Mais Douleur me bat, chantée a cappella en 1988, y était beaucoup plus mélancolique et émouvante. La prise de son contribue aussi à différencier les deux enregistrements : transparence et lisibilité de la première, proximité et résonance de la seconde. Les transcriptions de Mille regretz (Narvaez, joué à l’épinette, puis Neusidler, au luth) agrémentent le programme. La déploration sur la mort de Johannes Ockeghem (Nymphes des bois) conclut chacun des CDs. La plénitude des violes (première version), pensons-nous, s’accorde davantage au caractère que le positif, mais, là encore, l’auditeur sera juge.
Si la plaquette d’accompagnement n’appelle que des éloges, la liste des plages et de leur minutage ne mentionne pas la formation utilisée pour chacune des pièces, ce qu’offrait la gravure de 1988. Enfin, ce minutage autorisait l’enregistrement des huit autres pièces complétant le 4ème livre publié par Susato. Pourquoi y avoir renoncé ?
Pour conclure, il est impossible de trancher et nous ne pouvons que conseiller d’écouter non seulement ce remarquable enregistrement, mais aussi celui de 1988 (toujours disponible dans la collection « Musique d’abord »), dont la pertinence demeure, et de compléter avec l’approche monodique de Romain Bockler, magistralement accompagné au luth.