Serait-ce la saison des requiems ? Le climat mortifère ? La proximité de la Toussaint ? Plutôt une saine curiosité pour dépasser les chefs-d’œuvre, et (re)découvrir des messes des morts tout aussi remarquables. Ainsi pour ce splendide enregistrement, où sont illustrés les requiems de deux grands maîtres viennois, quelque peu oubliés malgré leur gloire passée.
Bien que tous deux à cinq voix, leur écriture les différencie, non seulement par l’évolution du style en presque deux générations, mais par leur destination. Johann Caspar Kerll, organiste de la cathédrale Saint-Etienne de Vienne, publie en 1689 un recueil de cinq messes, dédiées à l’empereur Léopold Ier, dont ce requiem. Il précise que c’est à l’intention de ses propres funérailles qu’il le compose. Donc une œuvre de caractère intime, recueilli, où seules les violes accompagnent les voix. Le second requiem, de Johann Joseph Fux, écrit en 1720 pour les funérailles de la veuve de Léopold Ier, adopte un ton plus solennel, somptueux, propre à un office impérial. Aux cordes s’ajoutent les cornets, les trombones, le basson et l’orgue, participant à l’éclat requis. L’influence du grand motet français est perceptible, alternance du chœur de solistes et grand chœur. Comme l’écrit Jérôme Lejeune, qui signe la pertinente et passionnante introduction, « l’image que le temps a fixée du Requiem de Mozart est un peu l’association de ces deux visions… »
Le requiem de Kerll nous plonge dans cette atmosphère recueillie, empreinte d’une émotion sereine, à laquelle participent le quatuor de violes et l’orgue. La belle polyphonie de l’introït, le figuralisme du Dies irae, qui surprend par son économie de moyens, les solistes intervenant pour chacun des versets de la séquence, le Lux aeterna conclusif sont autant de moments forts. Les chanteurs, deux par partie, s’y révèlent d’une grande qualité. Les timbres, frais, lumineux, sont tels que Vox luminis n’a jamais mieux mérité son appellation.
Johann Joseph Fux est le premier représentant du baroque autrichien. Il est au faîte de sa gloire lorsqu’il écrit ce « Keiserrequiem ». Son style, sévère par son contrepoint hérité de Lassus et de Palestrina, porte les marques française et transalpine. Là encore, la séquence, amplement développée, est l’occasion d’alterner les tutti (coro) et les soli, en dialogue avec l’orchestre. Le grand chœur, avec tous les instruments, donc les vents, est souvent opposé à l’ensemble des cinq solistes alors accompagnés des seules cordes. Le texte de l’ordo est illustré avec soin. Le trombone solo est de mise pour le tuba mirum. La couleur générale est plus affligée, plus sombre que celle de l’ouvrage précédent. L’offertoire laisse pénétrer la lumière, l’Italie n’est pas loin. L’Agnus Dei, bref, recueilli, prend de belles teintes. Le lux aeterna, tissé par l’entrelacs des voix et des instruments, apporte la paix finale. Les timbres des cornets, des trombones, du basson donnent à ce Requiem des couleurs mordorées. Lionel Meunier sculpte chaque partie, toujours soucieux des équilibres, du recueillement le plus intime au flamboiement. Vox luminis s’est imposé dans le paysage baroque, par ses qualités singulières. Il signe là un enregistrement qui vaut tant par la qualité des œuvres que par celle, exceptionnelle, de leur interprétation : appelé à devenir la référence d’une discographie – relativement pauvre – ouverte il y a plus de vingt ans par Van Nevel (Kerll) et par René Clémencic avec Fux.