Le DVD de la version concertante de Jeanne d’Arc au bûcher, sobre et magnifique oratorio d’Arthur Honegger, sort alors qu’on a la possibilité de voir la reprise de cette même production ces jours-ci (dans une tournée qui inclut Toulouse, Monaco, la Philharmonie de Paris et New York, voir la brève de Laurent Bury). Marion Cotillard est une habituée du rôle de la Pucelle d’Orléans qu’elle a endossé en 2005 pour la première fois, à la suite de sa mère. Si la captation en DVD peut quelquefois s’avérer frustrante par la perte de l’immersion dans le spectacle vivant, rien de tel ici ; on se fond instantanément de façon quasi fusionnelle avec les protagonistes dans cette mise à mort où l’imaginaire de chacun est sollicité auditivement et émotionnellement. La mise en scène ne s’impose donc pas pour cette œuvre d’ailleurs difficile à mettre en espace (voir la critique de Clément Taillia) ; en revanche, les recherches sonores titillent les sens en permanence, entre passéisme et modernité, des psalmodies ou polyphonies anciennes aux sonorités inattendues des Ondes Martenot ou de la tringle, merveilleusement valorisées par le chef Marc Soustrot, habité et enflammé par cette œuvre.
Le spectacle fixé sur le DVD est celui donné à Barcelone en 2012, déjà proposé sur Medici.tv pendant 90 jours. Certes, les chœurs catalans ne font pas toujours preuve d’une diction irréprochable, mais ce défaut minime est compensé par les évolutions d’une caméra constamment à l’affût de mimiques et d’expressions passionnées. Les interprètes sont formidables, à commencer par Yann Beuron, inénarrable et percutant en Porcus, fort à son aise, très bien entouré notamment par Maria Hinojosa, en Vierge consolatrice jusque dans la moindre intonation, et un duo délicatement assorti entre la soprano Marta Almajano et le contralto Aude Extrémo. Le reste de la distribution est à l’avenant et l’équilibre entre les voix chantées et parlées stimulant et réussi.
Pour les rôles parlés, on se souviendra longtemps de Xavier Gallais, remarquable de justesse en Frère Dominique, et de son beau visage grave, intense et pur, en écho à la jeune et naïve Jeanne, dont Marion Cotillard transcende la foi et la ferveur. Toute simple dans sa petite robe gris sombre, la môme semble ne pas être maquillée, en tout cas loin du glamour hollywoodien ; son visage ardent capte pourtant admirablement la lumière et les invisibles flammes d’un bûcher qu’on se représente sans peine grâce à elle. Quand deux larmes roulent sur ses joues, comme au cinéma, sans rougeur des yeux et justement délivrées au moment fatal, tandis qu’à ses côtés, Xavier Gallais, visiblement ému, s’essuie la face, on se souvient qu’elle est actrice et excellente comédienne. Mais c’est de loin l’émotion qui l’emporte sur le possible artifice et les gros plans rappellent ceux, inoubliables, de Renée Falconetti dans le chef-d’œuvre de Dreyer, la Passion de Jeanne d’Arc. On ne saurait faire plus beau compliment à notre formidable star et à ce DVD dont on regrettera tout de même, alors que les 81 minutes ont défilé en un éclair, qu’il n’y ait pas de suppléments pour mieux approcher cette œuvre fascinante, intense concentré d’émotion pure.
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