Il y a un an, l’édition 2016, sous-titrée « Oggi l’Italia », du festival de musique contemporaine Présences était, on le devine, consacrée à la création italienne. Un souvenir nous en est aujourd’hui offert par le label NoMadMusic, qui publie l’un des concerts donnés dans ce cadre. L’ensemble Les Cris de Paris, dirigé par Geoffroy Jourdain, y interprète avec brio quatre pièces de quatre compositeurs de la Péninsule, représentatifs de deux générations : Luca Francesconi et Marco Stroppa, nés respectivement en 1956 et 1959, et Francesco Filidei et Mauro Lanza, nés pour leur part en 1973 et 1975. En dehors de ce possible regroupement strictement chronologique, il serait bien difficile de distinguer des écoles ou des tendances réunissant les uns ou les autres car, si tant est qu’on puisse juger chacun d’entre eux sur un seul morceau, les plus jeunes ne sont pas forcément les plus téméraires. Du reste, les quatre plages datent toutes du XXIe siècle, entre 2001 et 2015.
Néanmoins, Let me bleed de Francesconi est peut-être celle où l’oreille repèrera les harmonies les plus « traditionnelles ». L’œuvre est conçue comme un Requiem pour Carlo Giuliani, manifestant tué par la police en 2001 alors qu’il protestait contre le G8 réuni à Gênes, et repose essentiellement sur un poème d’Attilio Bertolucci (1971).
De la mort, on passe au contraire à la vie, avec une commande que Les Cris de Paris (et le Musée du Louvre) ont passé à Marco Stroppa : Perchè non riusciamo a vederla ? correspond particulièrement à son commanditaire puisque cette composition est décrite comme « Cris, appels et clameurs pour chœur a cappella avec alto ». Slogans politiques détournés, gauloiseries diverses, cris de marchands ambulants… c’est, avec une durée d’une demi-heure, l’œuvre la plus longue et peut-être la plus marquante du programme, subdivisée en six mouvements aux atmosphères contrastées, accompagnés par les interventions de l’altiste Christophe Desjardins.
Retour à la mort avec Filidei : Dormo molto amore joue à combiner pendant une dizaine de minutes les neuf mots de la phrase « Dormo molte amore ore dopo non aver fatto morte », issue d’un poème évoquant l’anarchiste Franco Serantini, tué par la police dans les années 1970. Bien que présenté comme une berceuse, le morceau s’anime tout à coup à mi-parcours avant de revenir à la sérénité.
La mort, toujours la mort, avec Ludus de morte regis, la pièce de Mauro Lanza qui propose non pas des « Chants pour un roi fou », comme l’avait fait Peter Maxwell Davies il y a cinquante ans, mais « pour un régicide fou », pourrait-on dire, puisqu’elle se penche sur les différents individus qui ont tenté d’assassiner le roi d’Italie Umberto Ier (le dernier des trois, en 1900, a d’ailleurs réussi son coup). Les psychiatres de l’époque ayant conclu que l’attentat était l’œuvre d’un déséquilibré, les textes retenus évoquent la folie – une lettre de Nietzsche adressée au susdit roi –, le renversement licite des pouvoirs – un extrait du Magnificat par lequel un évêque annonçait son abdication temporaire –, et l’indignité de la mort physique – une formule scatologique empruntée à Sénèque. Aux membres du chœur sont confiés divers « objets sonores » émettant des bruits évocateurs (y aurait-il eu au moins un coussin péteur parmi lesdits objets ?), que complète un traitement électronique. Le procédé étonne d’abord, amuse, mais à mesure qu’il supplante les voix au point de les remplacer presque entièrement, il devient lassant : on se croirait dans une de ces interprétations de la Symphonie des Jouets de Léopold Mozart, où l’on utilise des gadgets électroniques modernes en lieu et place des joujous d’autrefois.