L’amateur de Lieder ou de mélodies est souvent confronté, comme le sont d’ailleurs les amateurs d’opéras, à la surabondance d’enregistrements des mêmes œuvres, sans cesse reprises, ré-enregistrées, souvent très bien, mais pas toujours. Quel plaisir dès lors quand apparaît une vraie nouveauté ! Et c’est le cas ici, avec cette intégrale des mélodies d’Albéniz par la soprano guatémaltèque Adriana González, bien connue des spectateurs de l’opéra de Paris, dont elle intégra l’atelier lyrique en 2014, avant de donner un tour plus international à sa carrière.
Bien sûr, la mélodie ne tient pas une place bien grande dans l’œuvre du plus français des compositeurs catalans, largement éclipsée par la littérature pour le piano : trente pièces en tout et pour tout, présentées ici dans l’ordre chronologique de leur composition, avec un choix de textes étonnamment varié, en espagnol, bien entendu, mais aussi en français, en anglais ou en italien. Serait-ce lié au cosmopolitisme du compositeur ? Ces pages, dont beaucoup sont d’une exceptionnelle qualité, jalonnent toute la courte vie du compositeur et méritent certainement une meilleure place au répertoire. Redonner vie à cette musique largement méconnue, c’est bien là semble-t-il le propos du label Audax qui propose cet enregistrement, par ailleurs accompagné d’un livret fort savant et très bien documenté, dû au professeur Jacinto Torres, le spécialiste le plus éminent d’Albéniz.
Ce n’est pas non plus dans ce répertoire-là que le compositeur nous livre sa musique la plus personnelle. Le style de ses mélodies est peu empreint d’hispanisme, il transcende les écoles à caractère national pour trouver un langage à vocation plus universelle, une sorte d’européanisme avant la lettre qui irait chercher l’inspiration aux meilleures sources du romantisme sans rien perdre de sa fraîcheur. On pourra rapprocher cette musique tantôt de Schumann, tantôt du Fauré (dans sa première période), à qui sont d’ailleurs dédiées les dernières mélodies du recueil, écrites après le succès d’Ibéria. Rien de très novateur, donc, mais un réel souffle lyrique, un beau sens poétique et une incomparable qualité d’écriture. On pourra aussi s’étonner de trouver de nombreux textes anglais de Francis Burdett Money-Coutts, plus banquier (et mécène) que poète, mais avec qui le compositeur s’était lié d’amitié et qui lui fournira le livret de plusieurs opéras.
La voix d’Adriana González est très belle, charnue, avec des aigus très purs et pleins de lumière, des couleurs chaudes dans tous les registres, une saine énergie et un bel engagement lyrique. L’accompagnement au piano d’Iñaki Encina Oyón souligne la qualité d’écriture pianistique d’Albéniz, sa grande variété aussi, et les deux interprètes font preuve d’une belle entente stylistique, développant ensemble de véritables qualités de chambristes. Le sens de la poésie est présent tout au long de l’enregistrement, tant chez la chanteuse que chez le pianiste, avec une grande variété de couleurs et d’intentions, suivant de près le texte musical. Les détails sont très soignés et rendent hommage aux œuvres que défendent avec beaucoup de conviction les deux interprètes. Un bémol cependant à propos de la diction insuffisamment claire d’Adriana González, et cela aussi bien en anglais qu’en français, et c’est bien dommage car c’est à peu près le seul défaut qu’on peut lui reprocher.