Le premier personnage est l’orchestre. Dès la nuit sur laquelle s’ouvre l’opéra, celui-ci se révèle profond, chantant avec un lyrisme contenu. Sa présence quasi constante, par-delà les tableaux évocateurs, descriptifs ou allégoriques, est certainement une des réussites de cet enregistrement nouveau. Sa poésie trouve les couleurs idoines, les progressions sont savamment conduites, les déferlements telluriques (fffff !), sans jamais tomber dans une forme d’outrance vériste. La dynamique extrême de l’ouvrage, ses contrastes accusés, comme les couleurs sont restituées avec une grande justesse par la direction de Felix Krieger. A la lecture du minutage de l’enregistrement (quinze minutes de moins que celui de Magda Oliveiro dirigée par Vernizzi), on redoutait des coupures. Or, sans jamais le sentiment d’une précipitation qui ne serait pas dictée par le livret, tout est là. Non seulement le texte, mais aussi les climats (appelés par les abondantes didascalies du compositeur). L’attention du chef aux voix n’est pas moindre, et l’on est heureusement surpris qu’une distribution relativement humble par rapport à celles d’une demi-douzaine d’enregistrements connus puisse atteindre un tel niveau. Le chœur, sous toutes ses déclinaisons s’y montre puissant comme nuancé, équilibré, intelligible. Qu’il soit à chanter l’apparition du soleil – admirable apothéose – ou les jeunes lavandières qui vont assister au spectacle de marionnettes, c’est un bonheur constant.
Karine Babajanyan, qui chante Iris, bouderait-elle la France ? Sa carrière internationale, centrée sur le répertoire vériste, a consacré la soprano arménienne comme l’une des grandes voix actuelles. L’émission est ample, les aigus filés superbes, mais ici, le vibrato quasi constant et quelques discrets ports de voix dérangent parfois. Iris n’est pas Tosca. Là réside la difficulté d’incarner une frêle jeune fille pour laquelle Mascagni a écrit une redoutable partie vocale. Au fil des pages, on oublie ce travers. « Ognora soni », lorsqu’Iris se croit au paradis, est superbe. La vingtaine de mesures de son adieu final (« Un grand’ occhio mi guarda ») touche au sublime. Osaka est chanté par Samuele Simoncini, actuel Radames et Ismaele à Vérone. L’émission est claire, bien projetée, et le jeune débauché est bien campé, dans la montée de son désir, dans sa soumission à Kyoto comme dans son égoïsme. Son « Apri la tua finestra » est un des plus beaux qui aient été enregistrés. Ernesto Petti est un des grands barytons verdiens de la jeune génération. Son Kyoto a non seulement les moyens du rôle, mais aussi la rouerie, la finesse et la force qui en font un personnage très bien caractérisé. David Oštrek, beau baryton basse d’origine croate, est attaché au Staastoper Unter den Linden, tout comme le chiffonnier, Andrés Moreno García, solide ténor mexicain, parfaitement à l’aise dans ce rôle. Voix jeune qui ne gagnera qu’à mûrir, celle du premier, qui chante l’aveugle, est juste et touchante, mais manque parfois de profondeur, ainsi durant son premier accès de colère. On retiendra aussi la geisha de Nina Clausen, colorature danoise, à la voix longue, souple, riche en couleurs (« Misera !… Ognor qui sola… »).
Servi par une distribution équilibrée, sans faiblesse ni vedette du star-system, par une direction souple, énergique et nerveuse, l’opéra se situe parmi les réussites les plus homogènes de ces dernières années. Iris, il faut le répéter, mérite plus que tout autre ouvrage de Mascagni de sortir de cette sorte de clandestinité entretenue par l’enregistrement : son écriture, sa force dramatique singulière, son raffinement le justifient pleinement (Iris, un chef-d’œuvre à redécouvrir).
Etrangement, le livret, traduit seulement en anglais, est présenté non point en juxtalinéaire, mais successivement dans chacune des deux langues.