C’est à Paris en septembre 2003 que Karita Mattila a offert sa toute première interprétation de la jeune héroïne straussienne (lire la critique), un rôle qu’elle reprendra triomphalement en mars 2004 au Metropolitan de New-York dans une nouvelle production de Jürgen Flimm sous la direction de Valery Gergiev. C’est la reprise d’octobre 2008 qui a été l’objet de cet enregistrement, hélas sans le chef ossète à la baguette. Entre ces spectacles, la voix de Mattila, pourtant guère ménagée par le soprano, est heureusement restée quasiment inchangée : c’est toujours la même insolence, le même timbre si caractéristique, les mêmes aigus torrentiels. Les graves sont davantage poitrinés, ce qui les rend encore plus impressionnants. Physiquement, la performance reste toujours exceptionnelle : soutenir un chant aussi exigeant avec des exercices physiques aussi ardus (avec un grand écart, comme à Paris), alors qu’on flirte avec la cinquantaine, c’est quasiment du jamais vu. Malheureusement, Mattila n’a pas non plus progressé dans sa composition dramatique : elle propose, un peu superficiellement, diverses facettes possibles de Salomé, mais elle n’incarne jamais véritablement l’héroïne : aucun mystère dans une Danse des sept voiles qui relève davantage du concours de gymnastique que de l’érotisme sulfureux ; aucune séduction perverse dans les échanges avec beau-papa ; aucune monstruosité dans le baiser à la tête coupée ; aucune fragilité de femme-enfant chez cette robuste cantatrice. Rien de malsain ne semble pouvoir émaner d’une femme aussi naturelle. Reste un exploit physique et vocal impressionnant, rare chez les chanteurs actuels, mais qui ne rend pas justice à la complexité du rôle.
Hérode est souvent dévolu à des ténors finissant qui compensent l’usure de leurs moyens vocaux par un histrionisme patenté. Ce n’est pas le cas de Kim Begley qui, à près de 60 ans, en impose par la qualité de son chant. Malheureusement, le ténor britannique offre aussi une composition un peu trop retenue du monarque. Manque de folie également chez Ildiko Komlösi, caricature d’une Elizabeth Taylor alcoolique. Pour une fois, Hérodiade est physiquement crédible en maîtresse d’Hérode, bien chantante, mais un peu fade théâtralement. Joseph Kaiser campe un Narraboth musical et sonore. Juha Uusitalo est un Jochanaan impressionnant de présence animale, mais dont le personnage cadre bien peu avec la fragilité et la blancheur que décrit Salomé : on est plus près de Hagen que de Saint François.
Patrick Summers semble avoir la cote au Metropolitan puisque le voilà à la tête des forces de la maison dans 3 DVD récents (Les Puritains (lire la critique), Madama Butterfly et cette Salomé). On cherche en vain la raison d’un tel honneur car sa direction est encore une fois d’une rare platitude, ce qui ne pardonne pas dans un ouvrage marqué par quelques uns des plus grands chefs de l’histoire de la musique.
Dans un décor de palace des années 30 en bordure de désert avec des costumes années-folles, la mise en scène de Jürgen Flimm est d’un modernisme discret, pas très original mais efficace et très bien mené théâtralement. L’utilité de la transposition temporelle n’est pas des plus éclatantes, mais elle n’amène pas de contradictions trop flagrantes avec le livret. On pourra apprécier un parti visant à éviter l’outrance, mais est-ce vraiment rendre justice à ce chef d’œuvre de Richard Strauss que de laisser de côté cette composante « épate-bourgeois » ?
Eclairages puissants, multiplication des plans, des contre-plongées, caméras en mouvement dans les airs : on a parfois le sentiment d’assister à une émission de variétés (un effet accentué par la terrasse du palais royal, en plexyglass translucide). La réalisation de Barbara Willis Sweete est très imaginative, léchée, mais elle accroit la distance qu’on ne peut s’empêcher de ressentir à la vision de ce spectacle. On notera que, pudiquement, la caméra regarde ailleurs pour éviter la nudité de Mattila à la conclusion de sa Danse des sept voiles.
En définitive, on appréciera l’ensemble de ce DVD comme un exercice brillant, spectaculaire, voire passionnant à certains moments, mais dépourvu des aspects glauques habituels à la représentation de cet ouvrage.
Placido Carrerotti