A l’image du contenu de certaines notes de bas de page, l’information glissée ici entre parenthèses et en petits caractères s’avère essentielle : « Serenata ‘Hymen’ – Dublin, 1742 ». Glossa ne publie donc pas une nouvelle intégrale d’Imeneo, qui en compte déjà quatre, mais le premier enregistrement d’une version profondément remaniée par Haendel pour les besoins d’un concert donné à Dublin, deux ans après la création londonienne et l’échec de son avant-dernier opéra. Le Saxon le qualifiait plutôt d’« operetta », terme inusité à l’époque, qui soulignait en même temps la brièveté, unique dans sans production, et la légèreté de l’ouvrage, composé sur un argument de Stampiglia initialement destiné à une sérénade nuptiale de Porpora. Du même poète, il avait déjà mis en musique la comédie romantique Partenope (1730) ainsi que l’adaptation du Serse de Minato (1738) ; bien qu’Imeneo ressortisse à la même veine, galante et spirituelle, sa substance dramatique se révèle autrement ténue et son ironie, nettement moins mordante.
Tirinto pleure la perte de son aimée (Rosmene), ravie par des pirates avec d’autres Athéniennes alors qu’elles devaient participer aux cérémonies en l’honneur de Cérès, quand surgit Imeneo, lequel annonce avoir libéré les jeunes vierges et réclame la main de Rosmene en guise de récompense. Argenio, dont Imeneo a également secouru la fille (Clomiri), se fait le porte-parole du Sénat et en appelle au sens du devoir de Rosmene. Point d’action ni de véritable tension, mais une longue tergiversation, ponctuée par les plaidoyers des prétendants de Rosmene qui, amoureuse sans passion, se montre plus indécise que déchirée avant de céder aux prières de son sauveur. Notons toutefois deux fort beaux moments de théâtre : le terzetto à la fin du II, superbe confrontation qui exacerbe le dilemme de l’héroïne, et, au III, une scène de transe simulée où elle invoque l’ombre de Rhadamante, gardien du Tartare, avant de feindre l’évanouissement. De surcroît, la qualité de l’inspiration musicale transcende souvent la banalité du livret. Entre autres joyaux, les haendéliens reconnaîtront sans aucun doute le premier jet de deux airs de basse du Messiah (« The people that walked in darkness » et « Why do the nations »), qui sera créé lui aussi à Dublin dans la foulée d’Hymen.
Haendel s’adapte aux moyens disponibles et transpose les parties masculines : de soprano, Tirinto devient contralto et Imeneo troque sa tessiture de basse pour celle d’un ténor. Il renonce également à la seule intrigue secondaire, l’amour que Clomiri, figure ramenée en l’occurrence à quelques bribes de récit, nourrit à l’endroit d’Imeneo pour se recentrer sur la relation contrariée de Rosmene et Tirinto. Dans la version originale d’Imeneo, les rivaux étaient déjà loin de s’affronter à armes égales et leur joute paraissait déséquilibrée, le rôle-titre devant se contenter de deux airs solistes ; à Dublin, au moins, l’un d’eux se voit avantageusement remplacé par l’air de bravoure « Sorge nell’alma mia » de Tirinto. Plusieurs dizaines de lignes de récitatifs sont raccourcies ou passent carrément à la trappe, de même que cinq airs, mais le compositeur en insère deux autres, empruntés à Deidamia, ainsi qu’un duetto tiré de Faramondo au I et, surtout, au III, l’ample et magnifique duo de Sosarme « Per le porte del tormento ». Celui-ci, observe Fabio Biondi, « confirme la théorie d’un dénouement malheureux dont la saveur amère est accentuée dans le chœur final, si beau et si triste, ajoute le chef, qu’il évoque celui de Tamerlano (1724) où demeure la sensation de la mort de Bajazet ».
Une prise de son très naturelle nous rapproche des chanteurs et Biondi souligne la dimension chambriste de la sérénade en optant pour une formation réduite (quatorze instrumentistes, théorbe et clavecin inclus), vraisemblablement plus conforme aux effectifs du New Musick-Hall de Dublin où elle fut jouée. Parce qu’ils sont absents du Messiah, le musicien juge hautbois et bassons « inopportuns » dans Hymen, un choix, cette fois, discutable et moins convaincant, quoique les sonorités flatteuses d’une Europa Galante très en verve tempèrent notre déception. Très en verve, mais aussi tout en nuances : Fabio Biondi détaille avec finesse la partition sans chercher à lui insuffler un souffle ou une urgence qui lui sont foncièrement étrangers. Avec Tirinto, Ann Hallenberg retrouve un rôle qu’elle a déjà brillamment défendu au disque dans sa mouture originale pour soprano (CPO, 2004). Son mezzo de lumière n’a pas les graves profonds d’un contralto, mais l’artiste nous livre, à nouveau, une fascinante leçon de belcanto que couronne un numéro de séduction extraordinairement inventif et raffiné (« Un guardo solo »).
Non pas séduire, mais éconduire : Rosmene poursuit l’objectif inverse, n’attendons par conséquent aucune volupté du chant de Monica Piccinini, dotée d’un soprano brillant mais impersonnel et dont le style comme l’imagination demeurent un peu frustes. L’interprète sait heureusement se départir de sa neutralité pour animer la scène d’hallucination du III et lui conférer le relief nécessaire. Imeneo hérite du grain dense et chaleureux de Magnus Staveland, idéal dans cette partie de ténor relativement centrale où l’arrogance n’exclut pas la douceur – un soupçon de fantaisie dans les Da Capo et nous serions comblé. Argenio n’a que deux airs, splendides, et enlevés avec panache par Fabrizio Beggi, particulièrement captivant dans « Di cieca notte allor » (I) où se devine le modèle de « The people that walked in darkness » (The Messiah). La longueur et la souplesse de la voix, le galbe de la ligne, l’élégance du phrasé, la présence au texte : autant de vertus rarement réunies chez les artistes qui assurent les emplois de basse haendéliennes et que ce vainqueur du Concours Toti dal Monte (2012) a développées au contact de répertoires plus tardifs.